C’est un grand plaisir pour moi de vous présenter l’une des maîtresses coopérantes de la région, mon amie précieuse : Yolande Desharnais avec qui j’ai eu le plaisir de travailler.
« Ma ferveur pour la formule coopérative en développement me vient du milieu familial. Je ne savais pas, alors que je jouais à la poupée dans la cuisine de la maison familiale à Mont-Laurier, que les longues tirades de mon père, impliqué jusqu’au cou dans la création des coopératives agricoles, magasin général et caisses populaires, resteraient si profondément marquées au creux de mon âme et influenceraient autant mon chemin de vie », me confie la grande Yolande lors de l’entretien téléphonique en préparation de cet article.
Quand elle délaisse les poupées elle est déjà dans le mouvement des JAC (Jeunesse agricole catholique). Son chemin de vie est déjà tracé pour aboutir à Guyenne. Ce petit village à peine né est déjà relié à la JAC. Un des frères de Yolande est installé dans ce village depuis 1947. Elle ira lui rendre visite pour aider la famille qui accueille son 2e enfant. C’est à cette occasion qu’elle rencontre son futur mari (Adrien Marois). L’effervescence des jeunes impliqués dans l’érection de la paroisse fait un nid stimulant à la jeune fille allumée et travaillante. L’amour lui donne des ailes. C’est le cadran de la vie dira-t-elle. J’étais au bon endroit, au bon moment. J’avais trouvé ma place.
Chaque citoyen participe à l’élaboration du projet de vivre à Guyenne. Yolande s’aperçoit rapidement que les règles de la coopération sont tenues et dictées d’abord par les hommes. Les chefs de famille. Les femmes ne sont pas admises aux réunions jusqu’à ce que les hommes les invitent officiellement au milieu des années 60, sous les pressions de ces dernières. Elles veulent savoir ce qui se trame derrière les portes closes. Car ces décisions ont une forte incidence sur la vie quotidienne. « J’ai vécu la coopération jusque dans mon assiette… » me dit Yolande avec fierté.
L’une des règles pour habiter Guyenne est de donner 50% du salaire à la Coopérative. La famille vit donc avec 50% du salaire. Il y a des efforts de créativité pour trouver les recettes nourrissant 15 personnes trois fois par jour. Yolande et Adrien ont alors 13 enfants. Le 50% remis à la coopérative sert à la communauté. Par exemple, les membres coopérants décident d’aider les agriculteurs en achetant et prêtant des instruments aratoires que personne individuellement n’aurait pu se procurer. Les travaux sont facilités par l’achat d’un semoir, moissonneuse, tracteur…
On apprend que les bûcherons ont de meilleures conditions de travail qu’ailleurs et de meilleurs salaires car ils ont la force du nombre pour négocier avec les moulins à scie, acheteurs de bois. Les pedleurs qui vendent aux portes dans les campagnes disent volontiers que les gens de Guyenne vivent bien. Yolande me parle des produits qu’elle achète : Fuller, set de vaisselle en mel mac (vous vous souvenez?), l’Encyclopédie de la jeunesse, Pays et nations, les Grolier. Au nombre d’enfants à l’école, les recherches et les travaux scolaires deviennent intéressants.
Quant à l’implication sociale, Yolande n’a pas été longue à s’engager. D’abord parce que la pauvreté des familles est importante. Yolande s’est bien rendu compte que la force du nombre change les choses, alors, elle va vers le mouvement des Fermières, qui est un organisme provincial. Elle aime cette formule. Son premier bon coup? Les Guyennoises utilisent les sacs de farine pour faire des vêtements inusables. Mais ce gros coton brut est estampillé bleu, rouge, jaune de la marque. Impossible d’enlever l’encre plastifiée qu’on peut retrouver dans le fond d’une bobette, sur un grand tablier, des rideaux, sur les pantalons du petit dernier qui se traîne par terre sur le plancher de bois non vernis. Avec les autres Fermières, Yolande demande aux compagnies de farine de ne plus imprimer leur logo sur le beau coton. Cette demande est acceptée. Depuis, les compagnies de farine utilisent des bandeaux en gros papier collant. Le problème est résolu. Cette victoire encourage Yolande à poursuivre son implication sociale.
Elle fonde « La Ruche » pour offrir un lieu de tissage et le montage des métiers à tisser en permanence. Avant, les métiers sont rangés dans des garages ou des granges, ils pourrissent ou le métal rouille. Il faut remonter les métiers à toutes les fois qu’on veut s’en servir. Pas commode. Mais devant ce projet, les critiques vont bon train. « Une gang de femmes ensemble, ça va virer à la chicane et on aura bâti ça pour rien. » La Ruche est encore là, bien utilisée depuis plus de 30 ans!
Au début de la coopérative, les femmes ne participent pas aux destinées de l’organisme. Mais en1960, des problèmes de négociations incitent les hommes à inviter les femmes aux réunions qui se tenaient jusqu’alors à huis clos. Yolande hésite… Cela l’intéresse pour savoir, pour comprendre même les soucis d’Adrien, pour voir venir la vie… La première fois, les femmes n’ont même pas droit d’intervention, ni de vote. Elle dit : « Il n’y a pas une seule femme à ces réunions-là. » Adrien réplique : « Vas-y, il va y en avoir. » C’est le début d’une grande aventure.
En 1980, Yolande fonde la première coopérative d’habitation dans son village, qu’elle bonifiera en créant le groupe de ressources techniques qui existe encore aujourd’hui pour aider à la qualité et à la surveillance des constructions coopératives.
Puis lors de la saga de la fermeture des paroisses marginales – Guyenne étant ciblée comme Rochebaucourt, Latulipe, Mont-Brun – Guyenne fait figure de proue dans les débats, appuyé par Jean-Claude Corvec, Marcel et Roger Guy, Hauris Lalancette, Multimédia avec Fernand Belhumeur… mais cela ne suffira pas à empêcher la fermeture de l’école malgré le front commun de tous les organismes.
Yolande s’engage alors pour investir cette bâtisse qui deviendra Centre communautaire et logera des organismes du milieu. L’une de ses fiertés est la création du premier comité de maintien à domicile de la région, bientôt imité un peu partout. Il faut parler aussi des coopératives funéraires.
Un jour, Marcel Laflamme qui travaille au bureau de François Gendron lui demande de représenter la région à Montréal au Conseil des aînés. Son argument massue : les 2/3 des régions sont là sauf l’Abitibi et le Témiscamingue. Elle lui répond : « Je vais aller planter le drapeau de la région à Montréal. » C’est ce qu’elle fait courageusement.
Une autre fois, Guy Lemire l’approche via le CRDAT, car il voulait des femmes partout, dans tous les dossiers, y compris dans celui du vieillissement. C’est alors qu’est créée la Table des aînés. Yolande en assurera la présidence un bon moment. Pendant son règne, elle collabore à la mise en place de l’Université du 3e âge, le Réseau libre savoir, soutenue par des grands noms du développement régional. La Table des aînés sera multipliée par des Tables des aînés dans chacune des MRC.
On a besoin d’elle pour gérer le Centre communautaire Goyette-Ruel à Amos. Elle assure la présidence du Conseil d’administration pour deux mandats. Le temps de créer les Comités de maintien à domicile dans chaque village de la MRC Abitibi, la mise en place de Défis-Autonomie, La ressourcerie la Petite Boutique.
Je lui demande de me parler de ses valeurs sociales et humaines… Elle dit que ces valeurs sont très proches parentes. « J’ai conscience du manque, du besoin, des affaires qui n’ont pas d’allure. Par exemple, la création de la Ruche vient du constat que les maisons sont bien trop petites pour loger les grands métiers à tisser. Il fallait ouvrir un lieu d’entraide pour loger les métiers et aussi les matériaux nécessaires au tissage.
La base du développement repose sur le respect de tout le monde, de leur façon de vivre. Si tout le monde dit le fond de sa pensée et de ses peurs, on trouve une solution commune. Facile de passer à l’action ensuite. C’est la force de la coopération.
Elle ajoute aussi que « si tout ce travail de coopération avait été rémunéré en plus des milliers d’heures de bénévolat, j’aurais un beau fonds de pension maintenant. Mais bien certain que sans coopération, l’Abitibi et le Témiscamingue n’existeraient pas », finit-elle.