Le monde du livre québécois est en pleine ébullition depuis de nombreuses semaines. En effet, à la suite de la campagne de mobilisation entreprise par les sept grandes associations professionnelles du livre l’an dernier afin de réclamer une réglementation sur le prix du livre, le gouvernement québécois a formé une commission parlementaire ayant pour mission d’examiner la possibilité d’instaurer un prix de vente unique valide pendant neuf mois pour les nouveautés, les rabais accordés sur ces dernières ne pouvant pas dépasser dix pour cent pendant la même période.

Tous les partis politiques québécois ont manifesté leur soutien à la Table interprofessionnelle du milieu du livre. La commission parlementaire a amorcé ses travaux en août dernier. Entre-temps, le débat continue dans les médias, sur les réseaux sociaux et dans les cercles concernés. Car, si l’éventualité d’une réglementation du prix du livre trouve un large consensus auprès des éditeurs, auteurs, libraires et bibliothécaires, elle ne fait pas pour autant l’unanimité.

Deux conceptions du livre (ou plutôt du marché du livre) s’affrontent, chacune avec des arguments dégoulinant de “gros bon sens”. Tout d’abord, les défenseurs d’une réglementation du prix du livre déplorent le fait que les petites librairies indépendantes soient obligées de fermer boutique à cause de la concurrence déloyale des grandes surfaces, qui offrent des rabais alléchants pouvant atteindre les trente pour cent. De plus, ils craignent que ce libre marché ne nuise à la diversité culturelle et éditoriale au Québec, car les grandes chaines commerciales n’offrent que des best-sellers. En revanche, les détracteurs de la réglementation considèrent que ce serait une mesure “inutile et nuisible”. Ils objectent en effet qu’une telle décision entrainerait inexorablement une augmentation du prix du livre et ne ramènerait guère les clients des grandes enseignes dans les librairies.  

Peu importe l’issue des travaux de la commission parlementaire, on remarquera qu’on n’aura évoqué le lecteur dans ce débat que comme un vulgaire consommateur, un client. Or, le livre n’a de vie que parce qu’un lecteur lui en donne une, comme le rappelle Umberto Eco dans ses travaux sur la coopération textuelle. Ce constat m’amène à me demander, sans doute candidement, si le débat n’est pas mal orienté, malgré toute la légitimité que je reconnais aux interlocuteurs qui y participent au premier plan.

Peut-être, me dis-je, qu’une politique visant à promouvoir la chose littéraire auprès du grand public, des commissions scolaires, des cégeps et des universités, entre autres, permettrait d’aborder la question sous un autre angle. Peut-être qu’une visibilité accrue de la littérature québécoise, grâce à l’engagement des médias et l’implication de l’institution littéraire, aiderait des petites librairies indépendantes à survivre. À bien y réfléchir, ça fait beaucoup de “peut-être”, mais force est de constater qu’il y a une sorte de bovarysme culturel dans l’air du temps. Je reste toujours surpris par le nombre de titres français que je vois sur les étagères des librairies et par le nombre de chroniques sur les écrivains français dans les rares émissions culturelles. De plus, je m’interroge sérieusement sur la pertinence d’une transposition du modèle français de réglementation du livre au Québec.   

Tout compte fait, ce débat sur la nécessité de réguler le marché du livre ou non révèle toute la complexité du milieu du livre chez nous. Tout d’abord, les mutations du marché, notamment avec le livre numérique et la vente sur Internet, nécessitent sans nul doute une redéfinition du modèle traditionnel sur lequel fonctionnent les petites librairies indépendantes. Par ailleurs, ce débat révèle aussi que ce modèle économique basé sur l’ultralibéralisme, avec ses impératifs de profit grâce à la libre concurrence, a peut-être atteint ses limites. Ensuite, il impose de réfléchir au modèle de société dans laquelle on veut vivre. Quelle place voulons-nous donner à nos écrivains et nos artistes? Telle est la question…

   

     


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