« Sois aimée par cet homme que le lac aime. Cet Appittippi, pur et droit comme les pins sur nos terres, tu sauras ce qu’est le plaisir qui monte des profondeurs de la chair, qui s’enroule en ton ventre comme une algue autour de la pagaie, qui se déchire, qui se répand pour poursuivre son chemin au-delà des courants où se jettent les poissons les plus rapides. (…) Transpose en l’enfant que tu portes le désir, le goût de vivre, de sourire, de rire, de jouir!» p.44

Virginia Pésémapéo Bordeleau est une artiste multidisciplinaire qui s’adonne à la peinture tout comme à l’écriture. Elle a notamment écrit le roman Ourse bleue et le recueil de poésie De rouge et de blanc. Elle est née en Abitibi d’un père québécois métissé et d’une mère crie.

Dans son livre L’amant du lac, nous sommes en Abitibi, en 1940, à cette époque où les autochtones n’étaient pas encore tous confinés dans des réserves, mais pouvaient vivre librement sur leur territoire. Gabriel est un métis. Lors d’un voyage de trappe, il passe à deux doigts de la mort lors d’une chevauchée en canot sur les vagues en furie du lac Abitibi. Il est recueilli par deux Algonquines : la vieille Zagkigan Ikwé et sa petite-fille Wabougouni qui habitent sur les berges du lac dans leur campement d’été. Le trappeur, qui affectionne les mots, tombe rapidement sous le charme de la belle Wabougouni (fleur) dont la chevelure acajou lui rappelle un événement douloureux du passé : le viol de sa grand-mère par un missionnaire. Épuisé et transi, il s’endort, mais sera vite réveillé par la chaude sensualité de la jeune femme. Voilà que débute leur histoire d’amour. Par contre, leur relation ne pourra pas se poursuivre, puisqu’elle porte l’enfant d’un autre et que Gabriel doit aller se battre en Europe.

Oui, ce roman est un premier livre érotique écrit par une autochtone au Québec, mais c’est avant tout d’une histoire d’amour empreinte de désir dont il est question. La première partie est la plus savoureuse. Nous suivons l’extase des deux amants qui se rencontrent et s’aiment en toute liberté pour la plus grande joie de Zagkigan Ikwé dont le désir a été asséché par son viol. Il est donc question dans ce livre du plaisir des corps chez un peuple qui n’a pas vécu les abus et la déchirure des pensionnats, ce que l’auteure décrit comme une «rupture avec la joie.» p.49. Tout comme la superbe couverture réalisée par l’auteure avec des couleurs chaudes, son écriture est très sensuelle, tout autant quand elle décrit les ébats des amoureux que lorsqu’elle évoque le lien charnel qui unit les personnages à la nature. Elle utilise une multitude de métaphores et de comparaisons qui offrent des images fortes. Ses beaux dessins nous permettent de découvrir ici la beauté sauvage du lac Abitibi, là les animaux qui vivent sur ses berges, ailleurs le quotidien des personnages. Il y a bien une présentation un peu manichéenne des personnages : le bon amérindien d’un côté et le mauvais blanc de l’autre, mais il fait bon découvrir une histoire d’amour chez les autochtones qui fait place à la joie et à la jouissance.


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