Ce mois-ci, nous transgressons une fois de plus les frontières de l’Abitibi-Témiscamingue pour regarder ce qui se tourne à la Baie James. La symbolique associée à ce territoire est parfois bien similaire à celle de notre région, et il est fascinant de voir des artistes se l’approprier.
Robert Morin, dont la partie la plus importante de son œuvre est constituée de faux documents (parce que pas nécessairement documentaires), où la caméra joue un rôle important, s’est transporté au nord pour exploiter sa charge symbolique. Avec Papa à la chasse aux lagopèdes (2008), Morin nous emmène dans un no man’s land hivernal, la Baie James, pour scruter les fondements chambranlants de la morale de Vincent Lemieux, une adaptation libre du célèbre escroc Vincent Lacroix, livrée par le surprenant François Papineau.
Le film débute comme peu de films débutent, c’est-à-dire en montrant la caméra au spectateur qui captera ce qu’il apercevra dans le film et en lui expliquant le rôle que tiendra cet appareil. Donc, dans un magasin d’électronique, Vincent Lemieux procède à l’achat d’une caméra qui servira à enregistrer ses dernières paroles à l’endroit de ses filles, alors que leur père est désormais honni de tous étant désormais considéré comme un truand financier. Le spectateur aura donc à s’habituer à se faire parler dans le blanc de la rétine, puisque le personnage s’adresse directement à lui. La caméra bien fixée dans la voiture, Vincent Lemieux part dans le Grand Nord, et pas seulement pour chasser la perdrix : pour se sauver de la loi et de ceux qu’il a extorqués.
N’ayant pas la sagesse nécessaire pour décider si ce qu’il a commis est condamnable, Vincent remet à ses filles (tout juste en âge d’aller à l’école) cette pénible tâche. Pour se justifier, entre autres, il tentera de faire comprendre que le rôle du financier est ingrat, car il oblige celui-ci à devenir complice d’actes immoraux (comme l’enrôlement d’enfants-soldats), sous l’autorité des petits épargnants qui lui demandent de faire fructifier leurs avoirs.
L’importance du nord avec un grand N tient dans sa référence à l’Ouest américain, qui fut un lieu où la loi et l’ordre perdaient leur contrôle absolu sur le genre humain. Le Nord, dans l’imaginaire québécois, représente une terre où la présence de l’homme civilisé et vacciné est encore nouvelle et incertaine, où sa morale est donc absente. Le personnage de Vincent s’y retrouve en train d’exposer à ses filles qu’entre le Bien et le Mal, en s’efforçant un peu, on peut ne voir qu’une ligne mince et floue. Alors qu’au nord, on s’attarde à repenser son manichéisme, au sud, c’est l’absence la plus totale de réflexion qui s’impose. Sans vouloir gâcher le punch, lorsque Vincent nous fait faire le tour de son nouveau chez lui (la Barbade, les Bahamas ou les Bermudes), on comprend que cette terre est celle de l’amoralité. Fini les questions sur l’intégrité, l’honnêteté, la justice : au sud, on se la coule douce, point barre!
Certes, l’Abitibi-Témiscamingue n’est plus ce lieu où il fait bon de repenser notre morale, mais il l’était au début du XXe siècle! Et la Baie James, ce n’est pas très loin de chez nous!
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