Alors que le 1er mai sera journée de grève sociale au Québec, une initiative appuyée par les professeurs du Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue notamment, il est intéressant ou déprimant, c’est selon, de constater le clivage entre une opinion populaire souvent hostile au plan d’austérité du gouvernement Couillard et la diabolisation des « commandos d’étudiants masqués » à laquelle ont participé les médias de masse en avril dernier. Il est légitime de remettre en question le rôle des médias de masse dans la formation de l’opinion publique, et c’est ce qu’a voulu faire nul autre que Jean-Luc Godard dans une expérience télévisuelle de quinze jours à CKRN à Rouyn-Noranda, en 1968. 

On a dû patienter jusqu’en 2000 avant que nous soit raconté sous forme documentaire le passage surréel du cinéaste iconoclaste Jean-Luc Godard à Rouyn-Noranda. Avec son court-métrage Mai en décembre (Godard en Abitibi) (2000), la cinéaste Julie Perron passe en entrevue les acteurs principaux de la tentative avortée de révolution télévisuelle et retrace ainsi les évènements de décembre 1968 à CKRN.

La station de télé abitibienne a alors reçu la proposition du producteur Claude Nedjar d’inviter Jean-Luc Godard et son équipe et de leur donner carte blanche pour une série d’émission. La réputation de Godard le précédant, CKRN a accepté de saisir cette opportunité de voir à son générique le nom d’un cinéaste « de renommée internationale ». L’intention de Godard était grandiose et a certes déstabilisé autant les employés de la station que l’audience, soit entamer une révolution du fonctionnement de la télédiffusion en donnant la parole au peuple et en voulant déhiérarchiser le médium.

Dans Mai en décembre, le musicien et cinéaste Pierre Harel, qui accompagnait l’équipe française en région, qualifie les expérimentations de Godard à CKRN de « sacrilèges pour les techniciens ». « Dans un milieu ouvrier comme l’Abitibi, travailler à la télé était très prestigieux, un peu comme être notaire ou médecin. »

Pour le réalisateur de la Nouvelle Vague française, cette expérience faisait suite aux évènements de mai ’68 à Paris, où une lutte étudiante s’était organisée contre l’impérialisme et le système capitaliste. Il s’amenait alors en Abitibi avec l’intention de donner la parole à la classe travailleuse peu éduquée d’une région éloignée et briser les chaînes de leur oppression. La réponse populaire ne fut pas celle escomptée. Le journal La Frontière écrivait le 8 janvier 1969 : « Nous vivrions 250 ans que jamais nous ne pourrions voir une telle médiocrité télévisuelle. C’est tout à fait impossible. »

Finalement, Pierre Harel s’est éclipsé en plein milieu de leur contrat et peu après, Godard faisait de même, obligeant CKRN à reprendre ses programmes normaux. Ce flop monumental, ironiquement, peut confirmer une partie du propos du cinéaste, dans le sens où le public d’une télé formatée par une élite dirigeante n’était pas prêt à voir du contenu étranger à la pensée que veut nous inculquer ladite élite.

Mai en décembre (Godard en Abitibi) saura répondre à plusieurs questions soulevées par le film d’Éric Morin, Chasse au Godard d’Abbittibbi, et se trouve sur le site web de l’Office national du film du Canada.


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