À l’occasion de la Journée internationale de la femme, L’Indice bohémien vous propose un regard différent sur la féminité : en découvrant trois créatrices de chez nous qui placent la femme au creux de leur art, mais aussi en bousculant vos habitudes de lecture, voire en retirant aux magazines érotiques le monopole des pages centrales verticales. Bien que les corps soient très présents dans leur pratique, ce sont ici leurs âmes qu’Hélène Bacquet, Karine Hébert et Louise Lavictoire mettent à nu pour nous.
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Hélène Bacquet
LES FRONTIÈRES DE L’IDENTITÉ
L’été dernier, un camion de livraison a sillonné le grand Rouyn-Noranda avec, à son bord, une précieuse cargaison. Transformé en petite scène itinérante qui s’arrêtait dans les villages, ce véhicule transportait un espace de théâtre où la jeune comédienne Stéphanie Lavoie rendait avec audace un texte percutant, Chanson de toile, écrit par Hélène Bacquet et mis en scène par Pascale Charlebois.
Hélène Bacquet a quitté la France pour venir étudier à l’UQAM en 2002, à l’âge de 23 ans. « J’écrivais depuis l’adolescence, mais je n’avais pas pris conscience de l’importance que ça prenait dans ma vie. C’est l’exil, l’expérience de l’immigration qui a cristallisé tout cela. » Elle ajoute : « Mon arrivée à Montréal a provoqué un questionnement sur mon identité en tant que femme et en tant que femme française. La France est reconnue pour son discours féministe, qui est très conceptuel mais qui s’ancre beaucoup moins dans la vie quotidienne. Ici, j’ai rencontré des femmes qui étaient beaucoup plus autonomes, je l’ai constaté dans plein de petits détails de la vie courante. »
Elle a 25 ans quand elle entreprend l’écriture de Chanson de toile, elle en a 28 quand elle y met le point final. La pièce est créée une première fois à Rouyn-Noranda en 2008 par la compagnie Roche, Papier, Théâtre. Le choix du titre n’est pas anodin : «. La chanson de toile appartient à la littérature médiévale; elle fait référence à ce que chantaient les femmes pendant les travaux manuels. C’est un motif narratif qui traduit un passage initiatique. Dans Chanson de toile, j’aborde la question de la transmission de mère à fille et, en filigrane, celle de l’éducation des filles. En fait, je me demande ce qu’il subsiste, dans nos esprits de femmes du 21e siècle, de tous ces conditionnements que l’on transporte d’une génération à l’autre. »
Trouver son souffle
Chanson de toile correspond à une période de sa vie où elle s’interroge beaucoup sur les rapports entre les générations et sur les non-dits. « Dans mon texte, la mère et la fille se parlent peu, sinon pour répéter des histoires toutes faites. Au début, Irène, qui a 20 ans, n’a aucune conscience de sa propre vie. Mais à la fin, on assiste symboliquement à la naissance d’une autre Irène, elle trouve son souffle et sa propre parole. La pièce se termine là-dessus, tout reste à conquérir pour elle. »
La jeune auteure, qui vit en Abitibi depuis 2006, dit avoir trouvé ici un incomparable vent de liberté propice à la création. Comme Irène, elle a trouvé son souffle. « J’avais besoin d’un lieu où m’ancrer pour écrire, je l’ai trouvé ici », confie-t-elle, visiblement éprise de sa terre d’accueil. Il n’en fallait pas plus pour qu’elle réfléchisse à un nouveau projet. « Pour l’instant, je ne veux pas me circonscrire dans une forme d’écriture en particulier, je n’en suis pas là. Je suis à l’étape de l’introspection. Je m’interroge toujours sur les frontières de l’identité féminine et je veux aussi traiter de la prise de la parole au féminin, mais cette fois-ci dans l’art ».
Karine Hébert
DE LA POSE À LA PRISE DE POSITION
L’été dernier, alors que Chanson de toile se promenait de village en village, Karine Hébert s’installait au Parc de la citoyenneté, au centre-ville de Rouyn-Noranda, avec son projet Dessous intimes, où elle conviait les femmes à venir prendre la pose avec des corsets de plâtre. Le 8 mars, c’est au Centre d’art Rotary que l’artiste propose ce rendez-vous.
« Avec Dessous intimes, je parle de ce rapport trouble que nous entretenons avec notre corps. C’est important que les femmes participent à mon travail et qu’elles portent cette réflexion avec moi. C’est pourquoi je les invite à venir poser, c’est un acte généreux et c’est engageant. J’aime aller dans les lieux publics pour susciter la rencontre. »
L’intérêt de Karine Hébert pour la cause des femmes n’est pas récent. « Je pense que je suis devenue féministe très tôt, probablement au primaire, dès que j’ai vu qu’il y avait des différences entre les filles et les garçons. Au secondaire, je revendiquais mon droit à faire les choses différemment, ma fibre féministe était déjà bien présente. » Après ses études collégiales en arts, elle fait une formation d’intervenante à la Maison Mikana d’Amos, ce qui la conscientise de plus près encore à la situation des femmes victimes de violence.
Comme une deuxième peau
Très versatile, Karine Hébert multiplie les formes d’expression : peinture, sculpture, performance, illustration, tout est matière à dire et à créer. Les vêtements et les accessoires féminins sont au cœur de sa démarche : « J’aime beaucoup travailler avec les qualités intrinsèques du matériau. Les bas de nylon sont très près du corps, les sous-vêtements aussi. C’est comme une deuxième peau. Ces éléments parlent beaucoup, par exemple dans le désir de compresser le corps ou de camoufler des rondeurs. »
L’artiste est aussi la mère d’une fille et d’un garçon, ce qui n’est pas sans teinter sa démarche artistique. «Forcément, ils influencent mon travail. Je les observe, je travaille à partir d’eux, ils sont ma ressource première. J’ai aussi un amoureux qui est là, qui participe et adhère à ce que je fais, ça c’est trippant. Mes œuvres parlent des femmes, mais elles font aussi écho aux hommes, c’est une démarche inclusive que je propose, parce que je pense que c’est ensemble qu’il faut bâtir un monde meilleur. »
Louise Lavictoire
FAIRE ŒUVRE UTILE
Les 8 et 11 mars, Qui aime bien châtie bien prend l’affiche à Rouyn-Noranda et à Notre-Dame-du-Nord. Pour ce texte dont elle est l’auteure, Louise Lavictoire, qui dirige la compagnie de théâtre Les Voisins d’en haut, a puisé sa matière dans des lettres qui en disent beaucoup sur la violence.
D’entrée de jeu, Louise Lavictoire affirme avoir été consciente très tôt des inégalités qui peuvent subsister entre les hommes et les femmes. « Nous étions sept enfants, ça me frustrait au plus haut point de voir que les garçons pouvaient aller jouer dehors après les repas alors que les filles devaient rester dans la maison pour faire des tâches. Je trouvais cela injuste. J’ai été féministe avant l’âge, sans m’en rendre compte peut-être, mais ça a toujours fait partie de mes préoccupations ».
Son parcours de comédienne, au Québec et en France où elle a vécu pendant douze ans, en fait foi. Ce sont des textes de Denise Guénette, connue pour ses monologues engagés, qui retiendront d’abord son attention. Quand elle revient à Rouyn-Noranda, en 1992, elle poursuit dans la même veine, soulevant dans les pièces qu’elle écrit et met en scène diverses formes d’injustice dont sont victimes les femmes. « En 2006, j’ai fait une performance intitulée Résistance. J’y abordais, entre autres choses, la question du port du voile. Cette expérience m’a permis d’aller plus loin dans ce que je voulais exprimer. Et plus j’avance en âge, plus c’est présent dans ma vie d’artiste. Il faut que l’art serve à quelque chose et que ça laisse des traces. »
Des lettres qui parlent
La production qui retient son attention pour l’heure, c’est Qui aime bien châtie bien. « Pour l’écriture de ce projet, je suis partie de lettres écrites par des femmes qui ont été victimes de violence. Je savais que dans les centres de femmes et les maisons d’hébergement, l’écriture est un moyen thérapeutique qui est utilisé, c’est une façon d’exprimer ou d’exorciser la douleur. Des femmes ont accepté d’écrire de ces lettres, un exercice qui s’est fait par l’entremise d’intervenantes qui œuvrent auprès d’elles, à Ville-Marie et à Rouyn-Noranda. Je voulais aussi des témoignages d’hommes violents qui sont en thérapie et qui font un cheminement à ce sujet. J’ai eu accès à de telles lettres par un centre de Trois-Rivières qui accueille des hommes violents ».
Les comédiens Monique De Denus, Richard Allaire et Pascal Binette partagent la scène avec Louise Lavictoire dans une série de courts tableaux entrecoupés de capsules vidéo. « Je me suis beaucoup questionnée sur la façon dont j’allais transposer le contenu de ces lettres pour que ce ne soit pas trop lourd et que les spectateurs aient des moments de respiration, mais en m’assurant que le message soit bien rendu ».
La thématique des femmes sera également très présente dans la production qu’elle prépare pour l’été qui vient. « On y verra trois générations, la fille, la mère et la grand-mère, qui ont des interactions bien affirmées ».