Jocelyne Saucier, qui réside à Cléricy, publie chez XYZ son quatrième roman, intitulé Il pleuvait des oiseaux. Auparavant, elle nous a offert La vie comme une image (1996), Les héritiers de la mine (2000) et Jeanne sur les routes (2006), autant de titres qui lui ont valu d’être finaliste pour des prix aussi prestigieux que le prix du Gouverneur général et le prix Ringuet de l’Académie des lettres du Québec. En 2010, elle a reçu le Prix à la création artistique remis par le CALQ dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue.
À l’écouter, il apparaît rapidement que l’auteure respire du même souffle que ses textes. Sa voix se lit comme ses écrits : il faut capter le sens au-delà des mots. Cette femme qui considère qu’« un roman, c’est beaucoup plus que les mots, beaucoup plus qu’une histoire » se dévoile avec discrétion, avec une économie de mots traversés de petits rires. Malgré la timidité et la modestie, elle se raconte comme elle conte… par coups de pinceau.
Vous êtes née au Nouveau-Brunswick ?
Oui, mais je suis arrivée en Abitibi à l’âge de 2 ans et au-delà de quelques absences, j’y ai vécu jusqu’à présent.
Parlez-moi de la véracité des événements concernant la dimension historique et les lieux géographiques du roman.
Les feux du début du 20e siècle ont profondément marqué tout le nord ontarien. On retrouve de grandes similitudes entre le nord de l’Ontario et le nord du Québec, mais on ne se connaît pas. Les feux ont été si importants qu’ils ont eu des répercussions jusqu’ici. Le feu représente la seule catastrophe naturelle qui nous menace ici.
Les noms ou prénoms des personnages m’ont particulièrement frappée. Pourquoi cette fluidité dans l’identité ?
Je voulais des noms simples, qui n’auraient pas à être expliqués, mais qui seraient aussi un peu à l’image du nord de l’Ontario, où l’identité se fait par rapport à la culture d’origine, mais sans connotation par rapport à la langue. Les prénoms reflètent ce mélange de langue (français, anglais, ukrainien). Le fait que les personnages soient flous et précis leur permet de vivre par eux-mêmes. Je veux que le lecteur puisse vivre et deviner mes personnages et qu’il les entende respirer.
À la fin de la plupart des chapitres, vous avez inclus des passages récapitulatifs et annonciateurs qui sont écrits au présent, alors que le reste est au passé.
Le supra-narrateur permet d’alléger le récit, entre autres à cause de l’omniprésence de la mort. Il permet de prendre un peu de distance.
Les descriptions de la lumière dans votre texte sont vraiment frappantes. Pratiquez-vous la peinture ou la photographie ?
Non, je ne pratique ni la photo ni la peinture, mais je m’intéresse à la peinture, elle me touche énormément. J’ai une sensibilité à la peinture.
Où situez-vous la source d’inspiration de cette histoire ?
Ce roman vient d’abord de ma mère qui a vieilli très vite à cause d’une maladie dégénérative, j’ai donc été amenée à côtoyer des vieillards. La disparition revient dans tous mes romans. Je bâtis sur cette cassure qui se fait. J’ai aussi voulu raconter cette connaissance intime de la forêt qui disparaît aujourd’hui.
Vous traitez la vieillesse, la mort, mais il reste un autre thème principal.
La liberté constitue une valeur nordique fondamentale, je dirais même l’amour de la liberté. Les gens du nord ont l’espace pour leur liberté. J’ai écrit un roman lent, linéaire, je voulais qu’on sente le temps passer.
Comment situez-vous ce roman dans votre œuvre ?
Ce qui est différent des autres romans ? Je voulais sortir du milieu familial. Je suis étonnée d’avoir placé des vieillards dans un ermitage. Je publie aux quatre ans, je prends mon temps; le roman, c’est mon espace de vie. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, pour moi, le travail d’écriture est un travail douloureux, mais jouissif. Je vis très bien avec cette angoisse. J’aime relever de nouveaux défis.
Quel est l’objectif de la première page ?
Cette page établit le ton du conte. Cela pose où on est, avec qui on est, et présente certains éléments qui seront repris plus tard, comme un motif musical. C’est mon conte de la forêt; d’ailleurs, je l’avais intérieurement intitulé « Voix des forêts ». Mais, la première page constitue un avertissement au lecteur : il s’agit d’une histoire peu probable, mais pas impossible. Il ne faut pas refuser d’y croire.
Et le prochain ouvrage ?
Il est encore en gestation. Un roman, c’est beaucoup plus que les mots, beaucoup plus qu’une histoire.
Février 2011