Un jour, arrivent un père et sa fille avec une idée extravagante et démesurée, une idée comme je les aime : faire un spectacle grandiose soulignant l’arrivée de la première famille pionnière venue s’installer de façon permanente en Abitibi sur les berges de l’Harricana. La base en était un maigre journal de bord tenu par l’une des femmes et des entrevues données ultérieurement par les deux femmes. Cette commande suscita beaucoup de questions et d’émotions par rapport aux contraintes historiques, au type de spectacle, à ma zone de confort et à mon talent. Étais-je la bonne personne et allais-je réussir ?
Seule avec mon ordinateur, je fis aller mes doigts sur les touches, mon esprit 100 ans en arrière, ma sensibilité et mon intuitivité à plein régime, de la musique indienne dans les tympans et mon doute assis sur mes genoux ne me quittant jamais. Pour une première fois, j’avais un collaborateur, Pierre Tremblay, l’instigateur du projet, le monsieur à satisfaire : c’était son rêve à lui, La folle odyssée de Bernadette.
Rencontres, confrontations, débats, visions; la collaboration enlève une partie du doute parce qu’on a un lecteur critique et exigeant. Les textes boudinés gardant encore la chaleur de leur impression et empilés parfaitement ont suscité chez moi un sentiment d’accomplissement et de fierté parce que le texte avait maintenant sa réalité physique. Toucher la couverture cartonnée avec mon nom dessus rendait tout le travail réel et fini.
Or, dans mon cas, la finalité du texte n’était pas prévue : j’allais jouer mon texte ! Première lecture : nous étions assis autour d’une grande table ronde et le metteur en scène distribuait les textes. Personne ne l’avait lu à voix haute et une angoisse m’envahit de façon fulgurante : et si ça sonnait mal, et si je voyais dans leur visage qu’ils n’aiment pas, et si je dois tout réécrire, et si, et si… On lut, on s’enfargea dans les mots, on rit à certains, on s’émut déjà du pouvoir des autres, alors que j’écoutais mes mots en prenant des notes mentales pour les améliorer. Souvent une phrase, une tournure, une émotion m’impressionnait, et la fierté donnait un coup de coude à l’angoisse qui m’habitait. Après la lecture, je fus aussi épuisée qu’après un marathon et j’eus peine à démêler le chaos émotif qu’une simple lecture a suscité. Dire que j’allais m’entendre pendant les 3 prochains mois !
Il fallait maintenant se détacher du texte pour l’aborder comme comédienne. Un travail qui n’est pas différent que de jouer un autre auteur, mais qui est facilité au niveau de l’analyse. Pas besoin de me demander ce que l’auteur voulait dire ou comment l’interpréter : j’avais accès à tout ça, que de temps gagné !
Enfin, les représentations ont eu lieu et les félicitations ont plu. Une averse de bons mots sur mon texte. J’ai touché les gens par mes mots et ils me l’ont dit et redit avec les leurs. Après le soir de la grande première, j’ai su que mes mots l’avaient touché, lui, ce monsieur Pierre distant et rêveur, et j’ai su que j’avais réussi à avoir une solide plume.
Décembre 2010 / Janvier 2011