« Il est seul maintenant, et il le voit bien dans les yeux derrière les fenêtres. » (p.356, Okîskwow)

Si vous éprouvez un intérêt pour la culture autochtone et les relations entre les différents peuples, et qu’en plus, vous aimez bien vous détendre avec un roman policier entre les mains, alors permettez-moi de vous suggérer la trilogie de l’auteur abitibien André Pratte. Il semblerait que les forêts autour de McWatters soient particulièrement riches en inspiration.

Vous ne retrouverez pas ici l’image habituelle de calme, tranquillité et sérénité associée à la vie dans le Nord, une vie simple rythmée par les saisons où l’on se réchauffe entre amis autour d’un bon feu. Que nenni. Monsieur Pratte situe ses personnages dans les forêts du Nord, à la Baie James, dans le grand Nord, à chaque fois dans une aire géographiquement restreinte où il semblerait que les crimes crapuleux pullulent parmi les arbres et les tempêtes de neige. La lenteur de l’action reflète un pays pris dans la neige, qui tisse patiemment les fils de ses histoires, mais chaque histoire s’avère pleine de rebondissements et de détours.

Quel que soit le tome que vous lisez (l’ordre importe peu), l’auteur vous amène à comprendre ce qui a poussé les méchants vers le chemin qu’ils ont pris, aussi bien les anciens enfants maltraités que les anciens combattants de Louis Riel, maltraités eux aussi. Mais, il s’agit toujours d’individus bagarreurs, des blancs qui règlent leurs comptes avec la société. Les Autochtones, qui vivent avec ces intrusions, se retrouvent pris dans les événements comme dans une toile d’araignée, spectateurs, victimes et parfois acteurs, tout comme les blancs auxquels ils se mêlent. Le personnage principal, lui, a quitté la police pour acheter un comptoir de traite, mais il ne peut s’empêcher de revenir à ses anciennes fonctions et au passage, l’auteur brosse un tableau des relations entre les comptoirs indépendants, les postes de traite et la Hudson’s Bay Company. Ce policier, qui n’arrive pas vraiment à changer de métier, se fait souvent assommer alors qu’il cherche à arrêter les méchants. Il devient attachant par son humanité… Ces personnages surprenants donnent lieu à une étude des comportements humains qui révèle la finesse d’analyse psychologique de l’auteur.

Les personnages traversent sans encombre d’un univers à l’autre, du monde des légendes au monde « réel », sur fond de mythes et de légendes autochtones, mais aussi de savoirs ancestraux. Le mélange de fiction et de réalité permet à certaines scènes d’horreur poussées à l’extrême de devenir humoristiques : « De la grosse marmite, sur le poêle à bois, dépassent un avant-bras et une main, qui semblent inviter à venir serrer la pince, à brasser l’abominable ragout. » (Okîskwow, p.275).

Malgré une écriture un peu lourde, qui manque de poésie, qui ne provoque pas l’imaginaire, il est difficile de lâcher les personnages même à la fin d’un chapitre… j’ai lu les trois livres en rafale ! L’auteur donne à voir que rien ni personne n’est jamais complètement bon ou complètement mauvais, et que la vie est faite de teintes de gris. Ceci dit, je ne regarderai plus de la même façon la forêt d’Aiguebelle, les monts Kékéko ou le pont sur la Kinojévis !


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