Le printemps, qui s’annonçait d’emblée mouvementé des suites de la pandémie, s’avère l’être d’autant plus des suites des tensions raciales au sud de notre frontière, qui auront tôt fait de susciter un débat de fond dans notre paysage médiatique. Le cœur de ce débat tourne autour d’une importante question : y a-t-il, oui ou non, discrimination systémique au Québec? Avec les débats et les dérapages notables entourant l’adoption de la Loi 21 l’an passé, force est d’admettre que les Québécois, tout comme leurs médias, sont encore très sensibles aux questions entourant le rapport à l’Autre.

Toute potentielle évolution collective sur l’enjeu du racisme, de la discrimination, et des réactions de crainte face à l’Autre doit passer par une prise de conscience. Sur ce chapitre, je suis particulièrement embêté – voire outré – par le discours médiatique ambiant, où une poignée de chroniqueurs et d’animateurs de radio tentent, du haut de leur privilège d’hommes blancs, de nous convaincre que tout va bien, tout en participant activement au phénomène. Car oui, les Richard Martineau, Mathieu Bock-Côté et Éric Duhaime de ce monde participent à alimenter une réaction collective malsaine, notamment par une rhétorique réactionnaire qui détourne les enjeux de fond pour les remplacer par des discours creux.

L’AUTOFLAGELLATION

Contrairement à ce qui est répété ad nauseam, le fait de condamner le racisme systémique n’exige pas une « autoflagellation » de la part des Québécois « de souche ». Affirmer la discrimination systémique au sein du statu quo n’équivaut pas, comme on le clame, à devoir « s’excuser d’exister ». Et non, ce n’est pas du « racisme anti-Blanc ». Et la comparaison avec la situation aux États-Unis ne se révèle pas plus pertinente, puisque notre passé colonialiste comporte ses propres taches. Ainsi, résumer les dénonciations de racisme systémique à des appels à l’autoflagellation relève au mieux d’une méconnaissance des conditions des minorités face à des situations maintes fois relevées par des compilations statistiques et des études savantes, et au pire, d’une mauvaise foi professée à outrance par des chroniqueurs profitant de leur privilège tout en niant celui-ci. En tant que Québécois « de souche », je ne pratique aucune forme d’autoflagellation, et n’encourage aucunement mes concitoyens à le faire, mais plutôt à ouvrir les yeux en s’ouvrant à l’Autre et surtout et en l’écoutant.

Personnellement, je crois qu’il est difficile de nier qu’il y a une intolérance érigée en système au Québec. Celle-ci nous est spécifique : elle n’a rien à voir avec ce qui se passe aux États-Unis, certes, mais elle existe quand même. J’ai l’impression que le terme « systémique » est mal compris; on semble penser qu’il signifie qu’on est une gang de pas fins au Québec, tout le monde est raciste, il faudrait s’autoflageller, etc. Or, ce n’est pas ça. Ça signale simplement que, à même le fonctionnement de notre système, il y des inégalités qui ne nous sautent pas aux yeux en raison de notre position privilégiée.

UN DÉBAT DÉTOURNÉ

Ultimement, force est de reconnaître que nous prenons beaucoup trop de place dans le débat, surtout parce que nous réagissons à un terme mal compris. Je suis d’avis qu’il faut des conversations où on laisserait davantage la parole à l’Autre. L’idée d’une intolérance systémique n’est pas une insulte envers les Québécois, c’est une occasion d’ouvrir un dialogue constructif et d’améliorer les choses. Ce n’est pas que nous devrions être réduits au silence, loin de là; mais j’aurais tendance à accorder un peu plus d’attention à ce que les communautés minorisées ont à dire sur l’égalité des chances, plutôt que de me fier aux Richard Martineau et Éric Duhaime de ce monde. Se permettre de croire que tous ont des chances égales et que tout est beau dans le meilleur des mondes chez nous est une erreur, selon moi.

Nos réactions de défense face à cet enjeu détournent l’attention des problématiques réelles. Il est dommage qu’on (les Québécois au sens large) ait des réactions d’urticaire dès qu’il est question de pointer ces phénomènes. Ça ne veut pas dire qu’on est donc bien méchants, mais simplement qu’il y a du chemin à faire, nonobstant celui déjà parcouru. On a beau répéter ad nauseam qu’on est donc bien accueillants, une telle affirmation ne tiendra pas longtemps si on se refuse à admettre des problématiques existantes et démontrées. Il faut que « les bottines suivent les babines ». Ça n’a pas à se faire au détriment de notre identité ou de notre capacité à nous émanciper. Je pense simplement qu’on occupe le débat entier au lieu d’écouter l’Autre. Commençons par écouter au lieu de se replier, ce serait un bon début.


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