Aussi surprenant que cela puisse paraître en cette ère de l’information instantanée, la décennie qui a pris fin aura été particulièrement foisonnante pour la circulation de fausses informations et, ultimement, pour la désinformation tout simplement.

Surprenant parce que, comme je l’ai assurément déjà évoqué dans cette chronique par le passé, jamais, dans la courte histoire de l’humanité, n’aurons-nous eu accès à autant d’information avec si peu d’efforts. Étonnant, donc, de constater la montée d’une culture fort bien ancrée de la désinformation. Ahurissant de voir survivre de nombreux mythes pourtant déboulonnés il y a de cela bien des années : la fausse histoire d’une cafétéria d’école de Dorval qui aurait retiré le porc de son menu à la suite d’une demande de la communauté musulmane; le mythe tenace selon lequel les demandeurs d’asile seraient mieux traités financièrement que nos aînés; la notion selon laquelle la culture du Québec serait mise en danger par l’immigration (particulièrement musulmane)… Ces fausses informations ont beau avoir été démenties à grand coup de faits concrets, ces mythes ont beau n’offrir aucune résistance à l’épreuve des faits (et de la statistique), l’espace socionumérique leur permet de se renouveler à grands coups de partages et de likes.

Malgré son aspect global, cette culture de la désinformation possède néanmoins sa spécificité québécoise, alimentée par certains médias au sein desquels la valorisation de l’opinion, relayée par une culture de la « chronique », prime sur la culture de l’information. Je serais presque tenté d’affirmer que les médias à grand tirage au Québec, accompagnés de la perpétuation socionumérique des idées chroniquées au sein de leurs pages, génèrent une gigantesque chambre d’écho médiatique à la grandeur de notre territoire. Alimentée par des débats sociaux particulièrement houleux tels que l’adoption sous bâillon de la Loi 21 le printemps dernier, cette chambre d’écho québécoise nous assomme continuellement par l’entremise d’informations extrêmement discutables qui ne sont jamais remises en question. Le principe d’une chambre d’écho est simple : une idée (ou un ensemble d’idées) est partagée par de nombreuses sources médiatiques qui se font écho, rendant extrêmement difficile la remise en question factuelle de l’idée en question. Avec l’arrivée des médias socionumériques, le principe de la chambre d’écho s’amplifie et se ramifie grâce aux fameuses bulles de filtres : au sein de ces bulles de filtres, l’internaute reçoit des informations préalablement triées en fonction de ses propres goûts, de sorte qu’il est de moins en moins confronté à des idées qui entrent en conflit avec ses propres croyances. Bien entendu, les bulles de filtres et les chambres d’écho médiatiques sont loin d’être une spécificité québécoise. Mais quand un premier ministre, pris en pleine tourmente dans le sillon d’une décision hautement discutable, répond qu’il est convaincu de sa décision parce que 90 % des abonnés de sa page Facebook sont d’accord avec lui, nous ne pouvons que constater l’importance du fonctionnement de la chambre d’échos au Québec. Dans un tel contexte, les remises en question de l’information au centre de la chambre d’écho sont généralement reçues avec scepticisme et, ultimement, avec une certaine agressivité. Tout cela s’avère extrêmement inquiétant pour la bonne santé d’une société et d’une démocratie.

Dans ce paysage médiatique et socionumérique marqué par les extrêmes, d’aucuns ne peuvent se surprendre de constater la montée d’une certaine droite identitaire mue par des idées de plus en plus radicales. Difficile de ne pas voir ce phénomène comme le résultat d’une information contaminée de fausses idées. Par exemple, certains médias utilisent à outrance et de façon erronée le terme « immigration illégale », alors que ce terme est tout simplement absent du droit au Canada, où il est plutôt question d’immigration irrégulière. Ce léger détail sémantique est lourd de sens puisqu’il ouvre grand la voie aux théories du complot, particulièrement populaires au sein de cette droite identitaire qui se radicalise rapidement – une radicalisation qui est lourde d’ironie puisque ce mouvement veut « protéger » le Québec de la radicalisation…

Dans ce paysage médiatique troublant, une figure se distingue par sa résilience et sa détermination à exposer les sources et le résultat de cette radicalisation : Xavier Camus, professeur de philosophie au cégep et débusqueur d’extrêmes socionumériques. Sorti de l’ombre récemment grâce à deux reportages à son sujet (le premier paru sur Urbania et le second dans La Presse), il y a longtemps qu’il fait jaser dans certains racoins de Facebook et de blogues parfois obscurs. Récemment, on lui a attribué l’exposition d’un sympathisant néonazi originaire des Cantons-de-l’Est, ce qui a mené à l’arrestation et la comparution de l’homme en question, qui faisait l’apologie de la suprématie blanche, de l’eugénisme et même, de l’abaissement de l’âge de consentement sexuel à 9 ans!

Détesté et conspué (et sans doute craint) au sein des cercles identitaires plus radicaux, Camus est parallèlement admiré par les défenseurs d’une saine circulation de l’information et de remise en question des idées – un fondement indiscutable pour toute démocratie saine. Car en plus de débusquer les profils socionumériques hautement discutables, Camus confronte souvent certains chroniqueurs à la désinformation à la base des opinions chroniquées. On a beau être d’accord ou non avec ses méthodes, une chose reste fort intéressante : Camus est un des seuls à s’en remettre aux instruments privilégiés par ceux-là même qu’il débusque. Effectivement, il s’en remet aux outils en ligne pour démasquer certains Québécois radicalisés. Il remet ainsi en question l’efficacité des outils habituels pour combattre la désinformation et la haine qui en découle. Sans doute peut-on y voir le reflet de notre époque : si les médias socionumériques, leurs bulles de filtres et la chambre d’écho qui en découlent sont directement imputables face à la montée d’une certaine droite identitaire radicalisée, peut-être sont-ils aussi la solution au problème! Du moins en attendant l’arrivée d’une éducation à la littératie médiatique et à la citoyenneté dans le cursus scolaire…