Je m’y suis repris à trois fois pour écrire cette chronique.

C’est que je suis grand-père, voyez-vous. Et chaque fois que l’on aborde la question de la contamination à l’arsenic à Rouyn-Noranda, eh bien, je pense à ma descendance et à tous ces enfants.

Bref, vous lirez donc aujourd’hui ma chronique en version expurgée de tout sentiment. Celle-ci portera donc sur : comment changer son milieu durablement. Et évidemment, toute ressemblance avec Rouyn-Noranda est le fruit du hasard le plus complet.

Les Japonais considèrent le seuil de leur porte comme un lieu en soi. Un espace à la fois privé et public, mais qui doit répondre aux réalités des saisons changeantes. Ouvert avec de larges points de vue sur l’intérieur de l’habitation en été, il se ferme l’hiver. Toujours, on s’y déchausse. C’est l’engawa.

L’engawa, c’est la célébration de la transition. Transiter, c’est s’engager consciemment dans une direction pleinement assumée. En reconnaître le début, exécuter les tâches requises en nommant la finalité recherchée. Tout milieu est appelé à changer. C’est écrit. Toute crise engendrera un « après » différent du « avant ». Vaut mieux donc désirer le changement et accepter l’idée de la transition.

Comment vivre son engawa, son espace transitionnel?

Il y a quelque temps, en cherchant une définition du concept de ville intelligente, je suis tombé sur un chouette document exposant qu’en ce 21e siècle, les villes à succès se regrouperont dans des catégories bien définies.

L’une d’elles est la ville sensible. Sensible comme dans les cinq sens chez l’humain.

On doit à un biologiste allemand, Jakob von Uexküll d’avoir forgé deux concepts essentiels : celui d’umwelt (le monde extérieur à un sujet en tant qu’il est pour lui un milieu) et celui, qui lui est corrélatif, d’innenwelt (le monde intérieur).

Mettons les choses au plus simple pour comprendre l’umwelt : pour fonctionner, certains insectes, telles les tiques, ont besoin de trois outils de perception du monde extérieur pour exister et se reproduire. Il leur faut essentiellement pouvoir s’accrocher aux feuilles des arbres, sauter sur le dos du chien, trouver un endroit cutané pour pondre. C’est tout.

Pour nous, animaux humains, l’impérative nécessité de nous réaliser pleinement nous impose un monde extérieur (milieu de vie) différent. Ainsi, nos communautés, composantes majeures de notre monde extérieur, devraient pouvoir compter sur un ensemble de stimuli. Quelques exemples parmi d’autres :

  • une orientation claire en faveur de ses habitants pour l’inclusion sociale
  • une gouvernance exemplaire basée sur la participation citoyenne
  • un mode de vie orienté sur la santé, la sécurité et la vivacité socioculturelle
  • une économie basée sur l’innovation et la connectivité

Avant d’être une ville intelligente, toute agglomération humaine devra devenir sensible au bien-être de tous ceux et celles qui la composent. Des milieux capables de mesurer les cibles à atteindre, de mesurer lucidement ses progrès, mais aussi ses écarts.

Pour le moment, nous vivons des temps obscurs. Il va falloir se réinventer un milieu qui peut se traverser avec une boîte à lunch à la main sans que la croissance d’un enfant se mesure sur le bout de ses ongles et la réussite individuelle, à la grosseur du chèque de paie.

Va falloir créer des espaces citoyens où la place des idées est valorisée en permanence.

Va falloir qu’entre les humains et le dragon, un pacte s’établisse.

La transition sera difficile. Mais nous saurons reconnaître que le chemin est plus important que la destination. Mais un chemin qui s’annonce long et sinueux.


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