Sous la direction de Jean-Jacques Lachapelle, le Musée d’art sort des sentiers battus et fait preuve d’audace et d’innovation. Des projets aussi iconoclastes que la Nuit au musée ou le Bal des membres, généralement avec un franc succès, témoignent d’une vision porteuse d’espoir et de sens pour la démocratisation de l’art.

C’est d’ailleurs dans la perspective de ce décentrement que le Musée a présenté, le 3 septembre dernier, une activité, à première vue anodine, à laquelle ont pris part une soixantaine de personnes. Il s’agissait de la projection de Danser le printemps à l’automne, documentaire coréalisé par Philippe Chevallier et Denis Sneguirev en 2013, suivie d’une discussion.

Cette activité ponctuait en réalité la tournée Danser le printemps en été, entreprise par le chorégraphe et danseur Thierry Thieû Niang le 12 aout dernier, accompagné par la réalisatrice Béatriz Mediavilla et son équipe technique.

Cette tournée, interrompue en mai dernier pour raison médicale, a traversé plusieurs villes québécoises en passant par Ottawa. La démarche du chorégraphe consistait à faire danser des jeunes de 12 à 20 ans avec des personnes âgées d’au moins soixante. À Rouyn-Noranda, un groupe de personnes des deux tranches d’âge a participé aux ateliers offerts par le chorégraphe du 1er au 3 septembre, avant de visionner le film.

Ce documentaire met en scène un homme, le chorégraphe, faisant danser vingt retraités de la ville de Marseille, en France. Le film révèle la démarche du chorégraphe, sa conception de la danse et sa passion. Mais il donne à voir aussi des personnages en réappropriation de leur corps à travers cette forme d’expression que représente la danse. C’est un film sur la détermination, le rapport au temps, au corps et à la vieillesse. Mais c’est surtout un film subtil, tendre et plein d’humanité sur le pouvoir de la danse, sur sa poésie avec de magnifiques images en noir et blanc.

Dans sa démarche artistique, Thierry Thieû Niang redéfinit la danse en l’offrant aux non-danseurs, en leur restituant leur potentiel. Pour lui, chaque geste du quotidien est un mouvement. Il propose un décloisonnement de la danse en la sortant du schéma traditionnel. Il travaille avec des enfants autistes, des prisonniers, des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, des réfugiés, etc. Le chorégraphe danse avec d’autres corps considérés, selon certains standards édictés, comme impropres à la danse. Cela donne un résultat étonnant et inspirant, car ces corps étrangers au monde de la danse sont sublimés et portés par une grâce poétique. Cette pratique artistique favorise l’éveil des consciences et contribue à modifier aussi bien le regard des participants que celui des spectateurs.

Car la danse, dans sa dimension universelle, représente un langage d’une rare efficacité. D’autres formes d’expression artistique s’en inspirent. On peut penser à Zadig, du conte éponyme, qui l’utilisait comme test d’aptitude professionnelle afin de trouver un trésorier intègre pour gérer les affaires du roi Nabussan. Même l’Évangile recourt aux services d’une renversante chorégraphe nommée Salomé à qui Hérode ne saura rien refuser, pas même la tête de Jean le baptiste. Cette décapitation ne manquera pas d’ailleurs d’inspirer des peintres du baroque et de la Renaissance italienne. C’est dire le pouvoir d’évocation de la danse que l’artiste utilise subtilement pour permettre aux participants de se réconcilier avec leur corps!

En effet, la danse permet au corps de se mouvoir dans l’espace, de s’inscrire dans un rapport à soi, mais aussi à l’autre. Béatriz Mediavilla a suivi le chorégraphe durant toute sa tournée et a constitué une banque d’images. Grâce à ce matériau brut, elle réalisera un film dans lequel elle explorera le rapport entre la danse et le territoire. En l’occurrence, le territoire abitibien, dans sa dureté, dans sa beauté, se livrera dans une poétique du mouvement, du pas de danse. Il ne serait pas étonnant que le Musée d’art projette en grande première ce film documentaire.

En tenant ce type d’activités dans ses murs, le Musée d’art souligne la nécessaire complémentarité qui existe entre les différentes formes d’expression de l’art et fait un important travail de médiation et de vulgarisation culturelles.


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