Mars 2013, je suis un jeune étudiant en arts et Lettres qui se trouve à quelques pas d’un Xavier Dolan visiblement très ému d’avoir gagné le Prix collégial du cinéma québécois (PCCQ). « Ses films à lui ne vont pas à Cannes habituellement? » que je me demande intérieurement, surpris, mais également très heureux d’être où je me trouve.

« C’est un prix qui fait très plaisir aux cinéastes », me confie Béatriz Mediavilla durant un entretien Zoom, pandémie oblige, un matin de janvier 2022, presque 10 ans plus tard. Stéphane Lafleur a même poussé la note jusqu’à placer le trophée de fortune dans l’une des scènes de Tu dors Nicole après avoir gagné la toute première édition en 2012, me raconte-t-elle.

L’enseignante en cinéma au Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue est partie prenante du concours dès les premières heures. L’idée est de couronner le long-métrage québécois favori des collégiens. Des projections sont organisées dans les cégeps, et sont suivies d’une discussion de groupe. Les étudiants échangent sur leurs perceptions et analyses. Une fois que tout le corpus de films est présenté, on délibère et chaque cégep envoie un délégué dans un grand centre (Montréal ou Québec) pour défendre le tiercé décidé en groupe.

La première année, il n’y a que 15 cégeps, mais rapidement le succès se fait sentir et dès la 8e édition, c’est 53 établissements qui y participent. Chaque année, c’est donc plus de 1000 étudiants qui voient un corpus de cinq films québécois. Un jury fait la sélection des longs-métrages présentés, ce qui permet, selon Béatriz Mediavilla, de jeter la lumière sur des œuvres de qualité qui n’auraient pas trouvé aussi facilement leur public.

Parce que la formation d’un public est l’une des missions premières du prix et une idée chère à la marraine de l’évènement depuis les tout débuts, Micheline Lanctôt. En ces temps de domination « Marvelienne » (pardonnez le néologisme), il est clair que le cinéma québécois, souvent taxé d’un peu « drabe » (à raison parfois), peine à se faire une place au soleil. Pour Béatriz, « si le PCCQ n’existait pas, ces 1000 étudiants-là n’auraient probablement pas vu ces films ». Elle renchérit : « C’est important de développer une certaine conscience de citoyen qui occupe un territoire, mais qui occupe aussi un territoire culturel […] même si ce n’est que pour cette année-là, c’est déjà important. »

Ce que la professeure de cinéma apprécie particulièrement dans cet exercice, c’est la transparence de l’enseignement. Mis à part un cahier pédagogique (d’ailleurs élaboré chaque année par Béatriz Mediavilla pour l’ensemble des cégeps participants) qui aide à lancer la réflexion et l’analyse, ce sont les étudiants qui doivent développer et justifier leur propre appréciation des films. C’est une activité qui pousse à la réflexion, car on doit défendre sérieusement ses idées en groupe. On sort du cadre d’un cours magistral habituel et le savoir se développe par lui-même. « Parfois, les étudiants nous surprennent et aiment des films très champ gauche. »

Pour Béatriz Mediavilla, ces rendez-vous annuels sont de véritables mines d’or en perfectionnement. « C’est une occasion idéale pour discuter entre collègues de différents cégeps et d’échanger sur nos approches. » C’est aussi un bon moment pour rencontrer une autre population étudiante provenant de milieux divers. Le PCCQ est ouvert à tous les collégiens de tous les collèges du Québec, même ceux n’ayant pas de programme en cinéma. C’est parfois fascinant d’entendre parler une étudiante en sciences humaines, sans préalable en études cinématographiques, à propos de son appréciation des films, ça apporte un nouveau regard.

Pour souligner les dix ans d’existence du PCCQ, on a décerné un Prix de la décennie parmi les lauréats des éditions précédentes. C’est le film Laurence Anyways qui a été déclaré vainqueur par 130 jeunes de 12 différents cégeps. C’est d’ailleurs ce film qui avait gagné lors de ma participation au concours. J’imagine donc un Xavier Dolan encore plus ému qu’il y a 10 ans lorsqu’il a reçu le prix.

Pour ma part, je me souviens très bien de ma participation au PCCQ, bien que cela fasse déjà quelques années. Je me souviens particulièrement avoir fait la fête toute la nuit durant dans une chambre d’hôtel à Montréal, accompagné d’une vingtaine de nouveaux amis éphémères avec qui j’avais déjà beaucoup en commun. Bouteille de Caballero de Chile à la main, on parlait de cinéma, de l’Abitibi, du gars qui avait volé quelques lignes de mon analyse durant la délibération finale (je ne lui ai jamais pardonné) et du film Camion de Rafaël Ouellet, mon coup de cœur cette année-là. C’est un peu ça aussi, le PCCQ.


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