Jenny Corriveau

Toi, moi, nous, Témiscabitibiens, on est chanceux. On l’est parce qu’ici, ça bouillonne, ça émulsionne, ça crée, ça bouge, ça sautille, ça sourit et ça vit, à 200 km/h. Ici, c’est vivant. Ici, ça avance.

Depuis quelques années, il y a une effervescence socioculturelle qui me rend le sourire tout béant à chaque constat. Un nouveau projet, une nouvelle étude, un nouveau regroupement, un nouveau festival, une nouvelle production locale, un artiste d’ici qui rayonne là-bas, un artiste de là-bas qui capote sur ici. La région bouge, elle grandit et la population, souvent, met la main à la pâte. Ici, on est des filles et des fils de défricheurs, d’agriculteurs, de chasseurs, de faiseurs. C’est dans nos gènes. On a envie de quelque chose, ça manque au village, à la ville, à la région ? Pas de chialage, pas de soucis, on se retrousse les manches et on met en pratique notre héritage génétique : on met du levain et on se pétrit la patrie.

 « Y’a rien à faire icitte ! »

Début 2000, petite Jenny enfile ses ailes, pacte sa Tercel et quitte son 48e parallèle. Bagage au coffre, déception régionale au cœur. Mal informée, non représentée, peu divertie, je partais pour ne pas revenir.

La différence entre ici et là-bas, principalement, c’est l’humain. L’humain et le rythme de vie. Je suis partie, j’ai vu, j’ai vécu, j’ai compris, j’ai appris. Lors de mon retour aux sources, près d’une décennie plus tard, mon regard de jeune adulte s’était forgé la patte d’oie à grands coups d’expériences, de diversification et de consommation culturelle, mais surtout, de constatation participative régionale. La défricheuse en moi refaisait tranquillement surface : ici, tout est à faire.

Parfois, il faut faire un pas derrière pour mieux voir

Sitôt mon retour fait, je rencontrais, par le biais de l’organisation Place aux jeunes en région, les fondateurs allumés et stimulants de L’Indice bohémien ainsi que l’équipe du FRIMAT. Ces rencontres plus qu’enrichissantes ont réveillé la bâtisseuse qui sommeillait en moi, et c’est à ce moment précis, quand j’ai arrêté de snoozer ma vie, que mon gène de défricheuse a commencé à se faire aller le rigodon ! « Swing la bacaisse dans l’fond d’la boîte à bois ! »

Être témoin de l’effervescence. Voir cette activation neuronale collective. Rencontrer ces humains fabuleux qui s’affairent à développer la région. Faire connaissance avec ces gens pour qui attendre n’est pas une option a été pour moi une illumination. Tout est à faire, et tout est possible. Mon sentiment d’appartenance est grimpé directement au sommet du Kékéko en criant : « Je suis chez moi ! On peut TOUT faire ! Tout est possible ! » Pourquoi attendrais-je qu’on me prémâche quelque chose en espérant silencieusement que ça corresponde à mes besoins ? Ma mère, fille d’agriculteur, m’a toujours dit : « Ma fille, on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! » OK boss ! Watch me !

S’ouvrir les yeux et se retrousser les manches

Arriver en région, même pour un natif, ça peut être difficile. Rythme différent, offre différente, voisinage moins bruyant (bon, pas toujours). Revenir ici ou y arriver. Espérer y trouver son compte. Souhaiter s’amuser, se faire divertir. Souhaiter… Un jour, quelqu’un a eu une idée : un certain Sandy Boutin a eu envie d’un peu de nouveau, d’un brin de folie. Le FME, un projet ben flyé qui allait devenir le géant qu’il est, naissait. Sandy souhaitait… Au lieu de sombrer dans d’inassouvies espérances, il s’est retroussé les manches, s’est entouré de bâtisseurs aussi crinqués et rêveurs que lui, et l’a créé. Sandy a le gène du défricheur. On parle culture, mais si ça s’applique au créateur festivalier, c’est aussi vrai pour le fondateur d’un commerce ! Steve Jobs souhaitait ? Oui, il rêvait, souhaitait, puis il fonçait. Entrepreneurs, créateurs, faiseurs, voisins, amis. Ici, tout est à faire. Maintenant, je le vois. Je ne souhaite plus, je fais. Je n’imagine plus, je crée. Je n’attends pas, je m’active.

C’est prouvé, pour se développer, une communauté doit se sentir impliquée. L’humain participatif sera beaucoup plus épanoui que le passif qui attend, espère, souhaite. Il sera aussi beaucoup plus agréable à côtoyer que celui qui chiale. Mais là n’est pas le point.

La fierté qu’on a quand on a mis l’épaule à la roue dans un projet qui nous branche, c’est incomparable ! Les épaules nécessaires au bon fonctionnement d’une roue ne se doivent pas d’être toutes aussi fortes, ni aussi grandes, ni aussi engagées. Il n’est pas nécessaire de créer, d’inventer ou de fonder. Souvent, un tout petit élan ou encore un mini clin d’œil de soutien fait l’affaire. Je peux aisément en témoigner, un journal comme L’Indice bohémien, ça se bâtit à plusieurs cerveaux. Certains plus intellos, d’autres plus rigolos, des assidus, mais aussi des sporadiques. Idem pour tous les organismes sans but lucratif ou coopératives de ce monde.

Ce n’est pas le mois du bénévolat. Il n’y a pas d’occasion spéciale à ce billet. Simplement une prise de conscience disant que depuis mon arrivée, si je n’avais pas été aussi impliquée, je ne serais peut-être pas restée.

Pis toi, défricheur insoupçonné, c’est quoi ton souhait ? Et toi, volontaire inavoué, tu veux t’impliquer ? \


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