Marcher pour avancer dans la vie, marcher pour découvrir de nouveaux horizons, marcher pour prendre l’air, marcher pour se rendre au point B, marcher pour faire de l’exercice, marcher pour faire bouger les choses, et une fois par année, marcher pour éliminer le racisme. Depuis 10 ans, le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or
organise la Marche Gabriel-Commanda et invite la population à s’unir en marchant dans les rues de la ville, à brandir leurs pancartes et slogans pacifistes en marchant main dans la main.

La force d’une masse étant ce qu’elle est, c’est en s’unissant qu’il sera possible de venir à bout du racisme et de faire de nos deux peuples un seul groupe au sein duquel règne le respect et la compréhension de nos différences.

Mais ça, c’est seulement une journée par année. Qu’en est-il des 364 autres?

Voisinage absent
En région, on se targue souvent de se connaître les uns les autres et d’être plus proche de son voisin que ne le sont les urbains des grands centres. Pourtant, il y a des voisins qu’on connaît moins bien que d’autres, et c’est trop souvent le cas dans les relations entre allochtones et autochtones. Après plus de 300 ans de cohabitation, on pourrait imaginer qu’on aurait eu le temps de faire plus ample connaissance.

Et pourquoi donc n’avons-nous pas tous traversé la clôture pour nous serrer la pince? Il y a probablement plusieurs réponses à cette question, mais les préjugés que nous entretenons les uns envers les autres y sont sûrement pour beaucoup. Il existe une multitude d’idées préconçues véhiculées autant chez les Algonquins que chez les non-autochtones qui font qu’on craint, méprise et parfois glorifie indûment l’autre. Certains de ces préjugés sont basés sur des réalités historiques, et sont profondément enracinés dans les croyances populaires, ce qui attise le ressentiment des « blancs » envers les Anishnabes et vice versa, car le racisme existe bel et bien dans les deux communautés. D’autres viennent d’une méconnaissance sociohistorique de l’autre et de ce qui l’a façonné ainsi. Si l’on connaissait mieux le passé de chacun et notre passé commun, il serait plus facile de tisser des liens et de comprendre les réalités et différences de chacun. C’est quand même incroyable que dans une région comme la nôtre, il n’existe pas de cours d’histoire régionale et d’histoire autochtone obligatoire pour tous! Comment pouvons-nous travailler de pair quand trop souvent l’autre nous est inconnu?

Si les racines des préjugés sont parfois réelles, les fruits sont la plupart du temps imaginaires, ce qui fait que plusieurs de nos peurs, ressentiments et méfiances ne sont basés sur rien de concret, outre la crainte de l’inconnu. Lorsqu’on entretient un préjugé, on le gonfle, on le bonifie jusqu’à ce qu’il soit assez gros pour nous faire réellement peur, lui qui pourtant au départ n’était qu’une impression. C’est un peu comme les ombres chinoises, qui nous font voir un hamster en gros monstre poilu et féroce… pourtant, lorsqu’on se donne le temps de regarder les choses de plus près, on découvre une petite créature inoffensive. Si on se donnait la chance de mieux se regarder les uns les autres, peut-être qu’on verrait qu’au fond, ce qui nous différencie est minime et que cette différence pourrait nous apporter beaucoup.

Un pas en avant
Ceci étant dit, que pouvons-nous faire, maintenant, pour nous défaire de ces préjugés et pour nous rapprocher? Il est maintenant temps d’ouvrir la clôture pour aller voir l’autre et faire des choses ensemble, pas un à côté de l’autre, mais dans une volonté commune. Le Centre d’amitié autochtone fait de beaux efforts en ce sens depuis des années en organisant des activités, des événements et des occasions où autochtones et allochtones peuvent se rencontrer. Il est temps d’aller au-delà des idées qu’on se fait pour partir à la découverte de l’autre. Une découverte réelle, pas simplement une curiosité exotique, mais une volonté d’être ensemble et égaux. C’est quand même ironique que les Québécois soient reconnus pour être de bons et cordiaux touristes, qui apprennent à dire « Bonjour », « Merci », « Au revoir » et quelques autres mots dans la langue du pays par politesse envers la culture locale, et que nous connaissions si peu de mots algonquins. Nos villes commencent à peine à introduire cette langue sur ses oriflammes, menus de restaurant, affiches…

Ce rapprochement entre les peuples se fera aussi quand nos autorités seront prêtes à créer des liens réels et complets de fraternité, de partage économique et d’échanges culturels entre nos deux nations. Les liens économiques sont établis depuis des siècles; il nous reste – à nous et à nos décideurs – à travailler sur le reste et à découvrir que nous pouvons être beaucoup plus l’un pour l’autre que des partenaires financiers. Comment pouvons-nous aspirer à vivre ensemble sans partage équitable des ressources? C’est un peu comme si on avait décidé d’agrandir notre terrain sans consulter notre voisin.

L’espoir de la jeunesse
Après tout ce temps de cohabitation sur un même territoire, on peut tout de même voir un changement s’opérer, surtout chez les plus jeunes, eux qui se côtoient régulièrement à la garderie et sur les bancs d’école et qui apprennent à se connaître avant même de savoir qu’ils sont différents. Ils se regardent avec d’autres yeux, ceux qui ne sont pas encore teintés… et il est primordial de préserver ce regard.

La grande majorité des participants à la Marche Gabriel-Commanda étant en bas âge, ça augure bien pour les années qui viennent. Si les jeunes ont réussi à éduquer leurs parents en ce qui a trait au recyclage et à d’autres changements sociaux, souhaitons qu’ils y parviennent aussi pour ce qui est des relations interraciales en région. Et avec le temps mourront les préjugés des autres générations.

Alors marchons, et tant et aussi longtemps que nous marcherons ensemble, nous pourrons croire que tout est possible.


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