Réunir en une pièce unique autant de fragments fragiles de chacun et chacune, ainsi pourrait-on résumer le projet de Nathalie Faucher, artiste du papier, passée maître de l’origami qui s’attaque cette fois à l’idée de réaliser une courtepointe de papier.

Pour ce projet, qui a reçu l’aval du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), la Valdorienne propose de rassembler des bouts de papier, toutes sortes de papiers, qui auraient le pouvoir d’invoquer d’une manière ou d’une autre la pandémie et le confinement. « Je ne sais pas encore quelle forme exactement prendra le projet. Est-ce que ce sera tressé, plié? Ce sera un grand format et j’ai déjà une entente avec le Carrefour du Nord-Ouest pour l’exposer ensuite. »

Le flou repose aussi sur l’imprévu et de ce qu’elle aura en main. Un appel à tous sera lancé sous peu pour les citoyens de Val-d’Or, mais elle n’est pas fermée non plus à l’idée de recevoir des pièces d’un peu partout puisque pour une rare fois, dans cette période trouble qui a commencé en 2020, tous autant que nous soyons, avons été à un moment ou un autre au même endroit, conclut-elle. « Nous étions seuls avec nous-mêmes, mais en même temps proches de tout le monde parce que pour une fois, nous étions tous à la même place en même temps, dans une même réalité. C’est quelque chose qui est assez exceptionnel », mentionne-t-elle. 

Nathalie Faucher est prête à se laisser émouvoir et déstabilisée par ce qu’elle recevra. « Tous ces morceaux de papier seront comme autant de morceaux de soi. Pour certains, ce sera certainement un souvenir heureux, d’autres non. Ça pourrait être une page de mots croisés, un extrait d’un roman, un billet d’un spectacle qui a été annulé, un sac de farine. L’idée est de réunir tout ça, d’en faire une courtepointe de papier », explique l’artiste qui s’attend à recevoir des choses inusitées et, souhaite-t-elle aussi, des envois de toutes les générations. 

DES PIÈCES DE MÉMOIRE

Derrière ces bouts de papier partagés, Nathalie Faucher souhaite réaliser une œuvre qui viendra révéler une part du quotidien de chacun. Il s’agit aussi de réunir ce qui était isolé. Ramener ensemble le sentiment d’avoir vécu un peu à part. Ce concept rend d’autant plus intéressante cette idée d’une courtepointe réunissant autant de moments où il a fallu, par la force des choses, ralentir. Des traces qui ont été laissées derrière et qui témoignent de ce que ces moments ont été.

Ces éléments qui viennent attester du temps et de l’expérience prennent tout leur sens quand on apprend que Nathalie Faucher est aussi archiviste de métier avec une formation en histoire. Le temps, figé, est une source d’information et un chapitre qui vient camper la réalité, ou ici, plusieurs réalités. « Depuis deux ans, je travaille beaucoup avec les archives. Je prends par exemple des photos, je les imprime, et je réalise une œuvre en origami avec ce papier. On y voit les photos dans les plis », précise Nathalie Faucher. Le résultat laisse une impression un peu mystérieuse. Un objet de papier, mais avec une image d’une autre époque.

Des œuvres de Nathalie Faucher se sont retrouvées aux Rendez-vous de la photographie de Val-d’Or avec VD’CLIC, où des archives de la Société d’histoire y étaient intégrées. On la retrouve également dans une murale apposée sur le mur du Prospecteur.

 Oeuvre de Nathalie Faucher

UN HOMMAGE AUX FEMMES

Opter pour la courtepointe est aussi une manière pour Nathalie Faucher d’honorer le savoir traditionnel des artisanes et des femmes en général. Un savoir qui, sans se perdre, n’a pas toujours laissé de traces. « On retrouve peu d’images de femmes dans les archives, du moins dans le visuel. On entend aussi très peu parler de ces arts très féminins que sont la broderie, le tissage et la courtepointe. C’était pourtant la forme d’art exercée par plusieurs femmes », témoigne l’archiviste, déçue de voir qu’il subsiste peu de choses de ce savoir transmis de génération en génération.

Pour Nathalie Faucher, il y a lieu de réhabiliter ces pratiques d’antan sur lesquelles, sans être muettes, les archives sont minces. « La Société d’histoire travaille à un livre sur l’histoire des femmes. Dans les journaux, il est très peu question des femmes avant les années 1950. Et avant ça, lorsqu’on en parle, c’est avec le nom de leur mari », ajoute-t-elle. 

Pour son projet, elle se promet d’aller quérir ce savoir auprès de membres du Cercle des fermières de Val-d’Or. « J’aurai des rencontres afin de me familiariser avec les motifs. Des membres du cercle me fourniront de la documentation et des heures de discussion à propos de l’historique, des modèles de base pour me familiariser avec les schémas aussi », explique-t-elle. Une fois que les rudiments de la courtepointe lui auront été enseignés, elle se replongera en solo avec ses bouts de papier pour créer son œuvre, qui devrait être livrée quelque part à l’automne 2021.


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.