La Piaule de Val-d’Or offre de l’hébergement et un milieu de vie aux personnes démunies. M. Grenier nous présente un jour dans la vie d’une personne bénéficiant de ces services.

Je n’ai qu’un ciel sur la tête. On m’appelle communément personne itinérante. Certains me nomment, plus poétiquement, personne sans abri. D’autres m’appellent simplement personne de la rue.

Je n’ai qu’un ciel sur la tête. Certains pensent que je suis libre, que j’ai choisi ma réalité. Pourtant, je suis prisonnier de mon quotidien. Je structure mes journées selon l’horaire des ressources pouvant m’accueillir.

Je n’ai qu’un ciel sur la tête. Ma journée commence tôt. Je quitte le refuge avant 7 h. J’ai soif et il me faut trouver assez de bouteilles vides pour m’offrir à boire en les revendant au dépanneur. À 8 h 30, enfin enivré, je vais au centre de jour pour boire un café et me réchauffer. À 11 h, on me met à la porte et je me rends à la soupe populaire. À 12 h 30, on me met encore dehors pour que j’aille au centre de jour. J’en profite pour demander un peu d’argent aux passants. S’ils sont assez généreux, je m’épargne le centre de jour en après-midi et retrouve mes « amis » au bar. À 16 h 15, je tâche de ne pas oublier le souper à la soupe populaire. À 17 h 45, on me met à la porte et je marche « librement » jusqu’à l’ouverture du refuge, à 22 h. Là, on m’accueille en souriant, mais on me force à me déshabiller, à me doucher et on m’offre un pyjama pour la nuit. Si je suis chanceux, j’ai un lit. Sinon, je dors assis à table ou sur le plancher.

Je n’ai qu’un ciel sur la tête et mon quotidien était réglé au quart de tour. Était, car, du jour au lendemain, le ciel m’est tombé sur la tête. Les dépanneurs refusent mes bouteilles et j’ai soif pour mon nectar à 10,1 % d’alcool. Les passants ont déserté le centre-ville et je ne trouve plus l’argent pour m’échapper du centre de jour en allant au bar, fermé de toute façon.

Je n’ai qu’un ciel sur la tête. Il ne me reste comme refuge que les ressources pour gens « libres » comme moi, et on m’accueille maintenant comme si j’avais la peste. Je dois rester à plus de deux mètres de mes amis. On me menace si j’enfreins la règle et je n’ose contredire personne, car je n’ai nulle part où aller.

Je suis quand même chanceux, on prend soin de moi. Pourtant, hier, on m’a demandé à mon arrivée au refuge, comme tous les soirs depuis que le ciel m’est tombé sur la tête, si j’avais des symptômes, de la fièvre. Je n’ai pas osé dire « oui » à la jeune femme masquée. Qu’est-ce qu’elle aurait pu faire? Elle ne peut m’offrir de médication : elle n’est ni infirmière ni médecin. Elle peut juste m’offrir un ciel sur la tête. Moi, je suis « libre » et je préfère encore dormir au chaud.

Je n’ai qu’un ciel sur la tête. Je m’endormirai ce soir fiévreux, entouré de gens « libres », dans ce dortoir en me disant que « ça va bien aller ».

Note : Ce texte est un hommage à Daniel Gagné, artiste multidisciplinaire décédé juste avant la crise sanitaire. Il avait écrit une chanson pour les itinérants de Val-d’Or : « Un ciel sur la tête ».