Que serait un « Spécial chasse » sans une bonne histoire de chasse? Basé sur une expérience réelle, ce récit proche du conte raconte l’expérience surprenante de deux chasseurs qui verront une journée à la base peu prometteuse prendre soudainement une tout autre allure. Bonne lecture!

 

PARTIE 1 : UNE JOURNÉE PAS TERRIBLE

Un certain dimanche d’octobre dont je me souviens très bien, pour plusieurs raisons. Toute une chasse. Vous verrez.

 

Notre camp était à 120 km en forêt, au nord-est du km 380 de la route 117 qui traverse la réserve faunique La Vérendrye. À 300 km d’Amos. En plein bois. Un endroit de rêve, protégé des tracas quotidiens.

 

Cette semaine de chasse avec mon ami Gerry avait été plutôt tranquille. Journées pluvieuses avec quelques éclaircies. Un temps de canards. Une véritable semaine de repos, de vin, de bière et de bonne bouffe. Et nous rêvions d’un beau gros buck, le Roi des forêts, animal fabuleux qu’arborent nos pièces de 25 cents et que le poète Gaston Miron a évoqué dans son poème La marche à l’amour. Nous profitions de la chasse pour l’occasion qu’elle nous offrait de passer une semaine dans le bois. Une passion. Comme la pêche. Assez pour prendre une semaine complète pour en profiter, chaque année. Pour l’ambiance de communion avec la nature et pour passer du bon temps entre copains. 

 

Levés tard sans chercher à tuer à tout prix. En tout cas, pas comme notre ami Steve, un Amérindien du Nouveau-Brunswick, propriétaire d’un bar sur la rue Saint-Laurent à Montréal. Son camp était situé à 5 km au sud du nôtre. Un beau matin d’une autre partie de chasse, il nous avait tirés du lit vers 9 h 30 pour l’aider à sortir un orignal qu’il avait abattu tout fin seul, au diable vauvert, derrière une montagne. De la misère, en veux-tu, en v’là. Deux fesses et deux beaux filets d’orignal avaient compensé la peine. Et le bonheur d’avoir aidé un ami bien mal pris l’avait absolu de son dérangement.

 

Trêve de digression, revenons à nos orignaux.

 

L’avant-midi de cette dernière journée de chasse dont je veux vous parler, voyant le ciel bas où roulaient des nuages de pluie poussés par un fort vent (un temps merdique pour chasser), nous décidâmes d’aller pêcher la truite grise.

 

Vers 10 h, avec nos agrès, un lunch et le petit moteur hors-bord Evinrude de 1,5 HP sur l’épaule, nous empruntâmes la trail du portage de 650 m qui sautait une coulée, entre deux montagnes, sentier qui menait au lac Rioux. Gerry avait sa carabine en bandoulière, au cas où… bien sûr. 

 

Une chaloupe nous attendait au bord du lac. Toute la journée, nous pêchâmes… moi pour rien, aucune prise, et mon ami, quelques belles truites. Avec les vents, le froid et la pluie… une journée d’écœurantite aigüe et de misères. Mais la plus grosse misère de toutes fut le bris du moteur alors que nous étions à l’autre bout du lac, près du camp Rioux, à 3 km du sentier du portage. Et nous n’avions ni rame ni aviron. 

 

C’est avec nos vestes de pluie emmanchées dans des branches d’arbres, en guise de voiles, poussés par le vent (souvent de travers) que nous avons finalement rejoint l’entrée du portage. Et c’est à 18 h 30, alors que le soleil commençait à se coucher, qu’assis dans ma camionnette, nous avons enfin pu respirer à l’aise, dans le souffle chaud de la chaufferette du pickup. Tout trempés, semblables aux deux poissons de Gerry, nous étions à 1,3 km de notre camp de chasse.

 

J’embrayai la transmission, en route pour le camp. Couvert, le temps rendait plus sombre la fin du jour où la clarté était telle qu’on aurait du mal à distinguer un chien d’un loup. Je pouvais encore rouler sans lumière. Dans une demi-heure, la chasse allait finir. 

 

Juste avant notre arrivée au camp, Gerry me lança : « Continue, Gaston! Allons faire un tour plus loin. » À 2,5 km passé le camp, 3 orignaux nous apparurent, à 60 mètres devant nous, en plein milieu du petit chemin de gravier, au bord d’un ruisseau. Comme des ombres chinoises.

 

Freinant doucement, je laissai le moteur en marche. Tout excité – je l’étais moi aussi –, Gerry saisit sa carabine. 

 

PARTIE 2 : LE JACK POT

Ouvrant lentement la portière, Gerry glissa le canon entre le montant du pare-brise et celui de la portière. Relevant la lunette de visée, il visa un premier orignal et tira. Pendant que la bête tombait, il en visa une deuxième qui sacrait son camp. Mirant un peu plus haut et en avant, il tira de nouveau. Deux balles, coup sur coup, cette fois-ci. Et un deuxième orignal tomba, dans les buissons, juste en dehors du chemin. Entretemps, le troisième avait pris la poudre d’escampette. Ouf! Une chance pour nous, car la loi de l’époque nous limitait à un orignal par permis (cette loi a depuis été modifiée), règle bien ancrée dans nos mœurs. 

 

Dans l’intervalle, la pluie tombait, comme la température, rapidement. Et il faisait noir. J’allumai les phares. Un orignal dans le chemin et un autre dans le bois. De la viande fraîche, encore chaude. Et rien pour les débiter.

 

Retour au camp pour s’équiper. Une petite hache, un fanal au naphta, un couteau de cuisine dont la lame se révéla finalement trop longue et trop flexible. Rien de mieux, car nous n’avions pas de vrais bons couteaux de chasse. Il s’avéra que mon canif suisse ferait l’affaire, à lui seul. OK! OK! Donnons crédit à la hache pour couper le sternum.

 

À la noirceur et sous la neige qui s’était mise à tomber, encore la grosse misère. Il nous fallut trouver l’orignal tombé dans le bois. Heureusement qu’il n’avait pas fui loin. À environ 25 m, tombé à bout de vie.

 

À la lumière du fanal suspendu dans les branches, nous vînmes à bout de débiter un premier orignal. Les deux fesses mises de côté et le reste dans trois chaudières. Quant au deuxième orignal, que nous retournâmes sur le dos, il fut ouvert, partant du cou jusqu’entre les deux pattes arrière, et éviscéré. La panse enlevée, le sternum coupé à la hache. Le cœur et le foie mis de côté. C’est avec un palan improvisé que la bête fut hissée dans la boite de ma camionnette. 

 

De retour au camp, la journée dans le corps, un sandwich fut vite avalé avant que Morphée vienne nous chercher. Le lendemain serait le jour de l’enregistrement de notre prise. C’est à Amos qu’il fallait aller.

 

Nous déclarâmes nos bêtes, deux jeunes femelles de 16 ou 17 mois. Une offrande du dieu des chasseurs aux nemrods que nous étions, pris dans le feu de l’action. Dans l’bois, y’a des journées comme ça. 

 

Et c’est ainsi que ma pire journée de pêche est devenue mon plus vif souvenir de chasse.


Auteur/trice

Ingénieur forestier pour Domtar Woodlands, la Société d’État REXFOR et puis à son compte, Gaston a pris sa retraite en 2006. De retour sur les terres de sa jeunesse et fort d’un baccalauréat en Études littéraires, il se consacre à l’écriture tout en collaborant avec L’Indice bohémien depuis 2016 à la rédaction de textes et à la distribution du journal.