Racontées longtemps par le cinéma populaire hollywoodien, les potentielles catastrophes naturelles, qu’elles soient causées ou non par l’activité humaine, sont souvent réglées avec une simplicité déconcertante au sein de ces récits filmiques où un seul héros arrive généralement à sauver la planète du cataclysme à venir.
Ces récits sont d’une simplification telle que le héros arrive à concilier la lourde tâche de sauver le monde avec une autre tâche à laquelle tout spectateur s’identifie aisément : il sauve sa famille et son environnement immédiat aussi! Dans cette optique, bien que le cinéma populaire raconte depuis longtemps les dangers qui nous guettent, sa mise en scène largement réductrice semble avoir généré des schèmes de pensée encore plus nuisibles que les catastrophes elles-mêmes au sein de l’imaginaire contemporain.
En fait, les mises en scène typiques du film catastrophe font abstraction d’un élément fondamental : dans les faits, la crise climatique qui s’annonce au fil des prochaines années et décennies est d’une complexité qui rend toute discussion la concernant particulièrement ardue. Les solutions seront d’une complexité nécessitant la mobilisation d’innombrables compétences et connaissances scientifiques.
Pourtant, dans le contexte socionumérique qui est le nôtre, plusieurs personnes semblent se fonder sur de simples mèmes partagés via Facebook pour argumenter autour de la question des changements climatiques. La facilité avec laquelle un mème peut cristalliser une opinion est déconcertante, surtout à cause de l’aspect extrêmement réducteur de cette forme de communication. Cette circulation d’une information fondamentalement visuelle, incomplète et généralement biaisée participe activement à la montée d’un populisme dont la réaction face aux dérèglements climatiques demeure presque aussi dangereuse que les dérèglements eux-mêmes.
La combinaison de ces deux éléments – la simplification des problématiques dans les récits populaires et la montée d’un populisme proprement socionumérique – contribue à générer un phénomène qui semble s’accentuer dans le contexte social et médiatique actuel : l’épistémophobie, ou la peur de la connaissance. Nous sommes tellement investis dans la logique socionumérique que nous tendons à omettre le fonctionnement même des médias socionumériques où nous sommes les architectes de nos propres fils d’information. Autrement formulé, nous tendons à nous entourer uniquement de l’information qui fait notre affaire et qui conforte nos valeurs. Lorsqu’un expert vient contredire une croyance fortement implantée, et relayée à outrance par des outils aussi réducteurs que des mèmes, le discours ambiant va permettre la montée d’une méfiance face à l’expert, sans se pencher sur la provenance extrêmement partisane et biaisée du mème qu’il contredit.
Cette épistémophobie constitue un défi de taille, et un danger immense pour la citoyenneté et la démocratie de demain. Elle constitue également un élément non négligeable dans la problématique des changements climatiques. Quand un président américain confond les termes changements climatiques et réchauffement climatique, dans le but de disséminer un climatoscepticisme mal informé fondé sur le constat très localisé des vortex polaires connus en Amérique du Nord depuis quelques années, il faut absolument s’inquiéter. Car dans ce contexte d’épistémophobie rampante, trop nombreux sont les gens qui vont se laisser conforter par ces discours extrêmement réducteurs et truffés d’erreurs, sans prêter attention aux nombreux experts qui, pourtant, s’évertuent à expliquer la différence cruciale entre ces deux termes beaucoup trop confondus.
Dans une société où le savoir n’a jamais été aussi accessible, il est désolant de constater que la peur même de ce savoir risque de jouer un rôle au sein des problèmes majeurs que nous allons léguer à nos enfants. Cela me ramène à un mème qui circule beaucoup en ce moment : une image d’une jeune fille à la chevelure bouclée d’or, emprisonnée dans un océan de femmes en burqas. Ce mème porte la légende suivante : « Québec, 2050. Pourquoi t’as rien fait? » Partagée à d’innombrables reprises, ce mème n’arrive aucunement à répondre à la question évidente, à savoir comment les 3 % de Québécois de confession musulmane vont instaurer la charia au cours des 30 prochaines années. Il aurait été beaucoup plus opportun de placer cette jeune fille devant les conséquences des dérèglements climatiques; la légende aurait alors pu demeurer identique.
Sans doute ce mème aurait-il été beaucoup moins partagé…