Pour démarrer cette chronique sur les rapports entre médias, individus et société, il me paraissait opportun d’aborder un film québécois récent qui livre un commentaire social intéressant et tangible. Un film qui nous place devant les exigences sociales inatteignables auxquelles nous nous sentons souvent contraints d’adhérer; un film qui dresse un portrait somme toute un peu troublant des rapports entre nos fantasmes et la réalité qu’ils voilent; un film qui nous révèle comment, finalement, nos désirs ne sont jamais tout à fait les nôtres. Je fais allusion ici au film Le mirage de Rocardo Trogi, sorti l’été dernier.
Même s’il demeure accessible grâce à un scénario plutôt conventionnel et un recours (parfois maladroit) à l’humour pour relayer son message de fond, ce film demeure sans doute le plus sérieux que Trogi nous ait livré à ce jour. Le mirage explore en fait une thématique souvent abordée dans un certain cinéma plus marginal : la critique d’un consumérisme effréné et de notre aveuglement collectif face aux pouvoirs discrets qui nous proposent un bonheur inatteignable. Des films tels They Live (John Carpenter, 1988), American Psycho (Mary Harron, 2000) ou Fight Club (David Fincher, 1999) figurent parmi les réflexions sur ce sujet livrées par des réalisateurs anglo-saxons. Le mirage fait même une référence directe à Fight Club lors d’une scène de souper où s’affichent à l’écran les prix des différents produits et services auxquels les personnages ont recours dans le but non pas de mieux se sentir, mais de mieux paraître.
Cette question du paraître s’impose d’ailleurs comme le thème central du film. C’est lui qui assure sa cohésion et qui guide sa réception par le spectateur. Patrick (Louis Morissette) se préoccupe beaucoup moins de sa santé émotive et financière que du regard que son prochain pose sur lui, comme le mentionne si bien le synopsis du film. Ce regard, imaginé dans la vision de nos concitoyens dont on veut susciter l’envie, est problématisé de façon plutôt adroite dans le film. Et surtout, c’est en raison de ce regard imaginé que Patrick court vers sa propre perte.
Mais la question la plus importante que pose ce film peut aisément rester sans réponse : quel est le mirage auquel le titre même du film nous renvoie? Si le film met en scène un désir spécifique, celui de paraître enviable aux yeux des autres, le mirage se situe dans ce qui soutient ce désir : le fantasme. Le fantasme, c’est la jolie femme dont Patrick tente d’attirer l’attention pendant qu’en réalité il emboutit l’auto devant lui; c’est la quantité d’objets dont Patrick et sa conjointe Isabelle (Julie Perreault) s’entourent dans le but inconscient d’échapper à leur solitude; c’est Patrick qui se projette à plusieurs reprises au sein du film pornographique qu’il visionne : bref, le fantasme est la mise en scène du désir. Le film de Trogi nous invite à remettre en question notre rapport aux différents fantasmes qui peuplent notre univers culturel et social. Il raconte la faillite d’une société entière qui est trop aveuglée par le mirage du fantasme. \