L’art sert parfois de miroir. Les gens aiment se reconnaître dans les personnages. Les enfants sont impressionnés de découvrir des enfants-comédiens, au même titre que les aînés sont heureux de voir un octogénaire s’investir et réussir sur scène. Faire du théâtre multigénérationnel est crucial parce que la vie elle-même l’est et la vie, c’est un théâtre !

 

Souvent, on ne sait pas de quoi parler avec les vieux, on a des préjugés, on est mal à l’aise en leur présence, on ne sait pas non plus si on doit agir d’une façon différente avec eux; faut-il que je parle de tourtière, de tricot, de religion ? Eh bien non !

 

J’ai fait plusieurs projets théâtraux multigénérationnels et moi aussi, au début, je vivais ce malaise, je ne savais pas trop comment me comporter envers eux. Les ménager ? Les materner ?

 

J’ai eu des fous rires avec des gens de 30 ans mes aînés et côtoyé des collègues quinquagénaires bien plus en forme que bon nombre de jeunes. J’ai eu de belles discussions avec des gens des plus vieilles générations, et non, ce n’était pas toujours sur un ton de nostalgie « comme dans l’temps », mais plutôt autour de sujets anodins, quotidiens, actuels, drôles, sérieux, intelligents, niaiseux… comme avec le monde de mon âge.

 

Mettre le pendule de sa mentalité à l’heure

Il y a quelques années avec les Productions du Raccourci, on a monté la pièce de théâtre Mettons les pendules à l’heure. La pièce traite des aînés, avait une très large distribution de comédiens entre 15 et 74 ans et était présentée devant les aînés ! On s’est retrouvés à faire deux tournées avec tout ce beau monde, le fun qu’on a eu ! Peu importe l’âge, l’expérience de vie ou de jeu, on était tous dans la même galère à vouloir faire un bon show, social, qui change les mentalités. Les premières mentalités à changer, contrairement à ce qu’on veut bien penser, ce n’est pas celles du public, mais les nôtres, celles de la troupe. Il a fallu fusionner rare pour passer autant de temps ensemble et l’apprécier. Avec la promiscuité qu’apportaient le partage des loges et le plaisir du théâtre, on n’a pas eu le choix ! Tant mieux, car cette pièce de théâtre reste, encore aujourd’hui, dans mes meilleurs souvenirs de scène !

 

J’ai ri des blagues cochonnes de Ghislaine, la plus délurée de nous tous. Puis Adeline, il n’y avait que moi qui pouvais la maquiller, pis ses rides me donnaient de la misère ! Puis on a étrivé notre cher Philippe sans bon sens. Un soir, on a décidé de remplacer son verre d’eau par de la vodka, le pauvre ! On se trouvait bien drôle, nous, les jeunes de la troupe. On était persuadés de faire les malins. Et bien c’est un acteur en furie qui est revenu en coulisses, nous spécifiant qu’il n’aimait pas la vodka et qu’il s’était fait jouer ce tour un nombre incalculable de fois dans sa vie scénique, et que ça finit par ne plus être drôle ! On se sentait bien naïfs de penser qu’on avait été les premiers à lui faire la joke… Après nous le déluge, comme on dit.

 

Aujourd’hui, Philippe est décédé. Il va nous manquer. Moi, j’ai plein de souvenirs de lui sur scène et en coulisses. Les meilleurs de lui, je crois. La vieillesse nous fait penser à la mort, c’est inévitable. Et quand on travaille avec des personnes âgées, on craint que ça arrive. Comme un véritable acteur, Philipe s’est éteint après ses spectacles, et pour moi, il sera toujours dans la lumière… d’un follow spot.

 

Tisser le lien intergénérationnel

Je travaille depuis 4 ans avec une femme formidable, active, impliquée et généreuse. Sa fille était déjà comédienne dans notre circuit [NDLR Amos vous raconte son histoire] et un jour, elle m’a demandé si sa mère pouvait être figurante quelque part dans la pièce interactive qui se déroule un peu partout dans les rues de la ville. Bien sûr ! Elle allait faire un an notre Thérèse, elle entame aujourd’hui son 5e été avec nous et avec du texte ! Oui monsieur ! Parfois, elle oublie sa réplique et d’autres fois, elle décroche, pis c’est pas grave ! Moi j’aime ça, ça fait très naturel, je ne veux pas en faire mon personnage principal ou une pro, je veux qu’elle représente une femme d’une autre époque, dans toute sa beauté imparfaite. Elles sont maintenant 3 générations à jouer dans Amos vous raconte son histoire dans la famille, c’est beau à voir.

 

Un soir, après 4 étés, Thérèse m’a prise à part et m’a dit : « Merci de m’avoir permis de faire du théâtre avec vous autres. J’avais jamais fait ça de ma vie, pis même si je ne suis pas très bonne, tu me fais confiance et tu me donnes de plus en plus de texte ! Quand mon mari est décédé, il fallait que je fasse quelque chose, pis tu m’as pris dans la troupe. Sans le circuit pis la gang, le deuil aurait été pas mal plus dur. Merci. »

 

Moi, je fais du théâtre pour créer du bonheur. J’en suis passionnée, et je suis convaincue que le théâtre change le monde, une personne à la fois. Peu importe son âge. Avoir fait des spectacles avec des p’tits vieux, ben moi, ça m’a changé. Pis anyway, tranquillement, c’est là que je me dirige… comme nous tous.\


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