Combien faut-il de temps pour réussir à invalider une impression négative devenue état de fait immuable dans l’opinion publique? Existe-t-il une masse critique de renseignements, de textes ou de manifestations pour inverser une tendance, une fois qu’elle s’est cristallisée dans l’imaginaire collectif? À quel moment un produit, une marque, un aliment ou une ville peuvent-ils espérer être réhabilités, et est-ce que la réhabilitation est toujours possible?

Photo tirée du film Les brûlés, gracieuseté de l’ONF

La question a été posée lors d’une soirée de discussion. La réflexion tournait autour de différents sujets récurrents : la pénurie de main-d’œuvre, la découverture estivale des services, les difficultés d’attractivité sur l’ensemble du territoire, la caricature voulant que la région ne soit que peuplade de mouches et de maringouins douze mois par année, que l’agriculture n’y ait point de salut, ou cette perception tenace que Rouyn-Noranda n’est qu’arsenic pour toute personne qui habite hors de l’Abitibi-Témiscamingue.

Au fil du temps, des œuvres – que l’on sait aujourd’hui erronées – ont contribué à cette mauvaise presse. Par exemple, le film Les brûlés produit par l’Office national du film (ONF) qui met en vedette Félix Leclerc dans le rôle d’un colon abitibien. À ses côtés, un autre frère de défrichement s’exclame devant un paysage ponctué de souches et d’une friche ingrate : « Y’a pas moyen de sortir d’un trou pour nous retourner dans un autre. Ça prend-tu des écœurants pour nous envoyer icitte? »

L’image se fige à l’écran, le champ ne présente aucune végétation, que d’immenses roches et cailloux au milieu d’une terre en apparence stérile. L’Abitibi-Témiscamingue, une terre de roches? C’est méconnaître l’enclave argileuse Barlow-Ojibway qui définit en partie notre agriculture régionale, c’est faire preuve de déni alors que la valeur des terres de l’Abitibi-Témiscamingue a connu la plus forte hausse de la dernière année au Québec, c’est renier le potentiel agraire du Témiscamingue et de l’Abitibi-Ouest où jadis, de grandes et nombreuses terres n’avaient rien à envier en matière de rendement. Les freins à la prospérité ne tiennent pas à la qualité des sols, mais à une conjoncture économique complexe et sans doute à des choix de priorisation de développement, qu’ils soient économiques ou politiques.

Des stigmates, il y en a pour tout. Des individus dont les crimes ont tant choqué que tous les efforts de réhabilitation, ainsi que le temps purgé, n’y changent rien. Là encore toutefois, il n’y a pas forcément d’équité. Certains passeront le temps de l’oubli ou d’une forme de pardon collectif, d’autre pas. La voie vers la réhabilitation n’est pas pavée pour tout le monde.

UNE COMMUNAUTÉ MARQUÉE AU FER

L’ancienne ville d’Asbestos est aussi un cas d’espèce. L’or blanc – la fibre d’amiante – avait été décrié par 17 directeurs de la santé publique du Québec, qui s’étaient exprimés contre l’exploitation des résidus d’amiante.

En 2018, la ministre fédérale de l’Environnement, Catherine McKenna, lors du premier mandat de Justin Trudeau à Ottawa, a annoncé une interdiction de l’amiante au pays. « Des décennies d’extraction et d’utilisation de l’amiante ont entraîné un véritable désastre pour la santé de millions de travailleuses et de travailleurs à l’échelle planétaire et au Québec en particulier. Encore aujourd’hui, l’amiante est le premier tueur au travail dans le monde », mentionnait l’Union des travailleurs et travailleurs accidentés ou malades.

Ce n’était pas assez pour enlever à Asbestos sa charge minée. La connotation négative qui collait à Asbestos (qui signifie « amiante » en anglais) ne pouvait être éludée, même après l’adoption du règlement de la ministre McKenna, qui survenait déjà six ans après la fermeture de la mine Jeffrey en 2012.

Le nom… ce nom était lui aussi un frein à toute possibilité de passer à autre chose. En décembre 2020, la municipalité a changé de nom pour tenter de se détacher et faire table rase de son stigmate lié à l’amiante. Le maire Hugues Grimard a alors confié dans une entrevue dans Le Devoir : « On le fait pour les générations futures. » Parmi les noms possibles, Val-des-Sources a raflé la faveur populaire devant Trois-Lacs, Larochelle, Jeffrey-sur-le-Lac, L’Azur-des-Cantons et Phénix.

REPARTIR SOUS UN AUTRE NOM

Je n’ai pas su trouver la réponse au questionnement de départ : Que faut-il pour inverser une image profondément enracinée? Combien de bonnes choses faut-il pour éclipser le poids des côtés plus sombres de l’histoire?

Repartir sous un autre nom n’est pas forcément la solution à tous les maux. Peut-être suffit-il de s’affairer à d’abord croire nous-mêmes que nous ne sommes pas que mouches, maringouins, éloignement, rudesse et que nous épousons plus largement l’idée d’un pays neuf, ouvert aux possibles encore accessibles et à l’espace pour faire plutôt qu’à l’oppression d’une densité étouffante, à la débrouillardise ingénieuse plutôt qu’à la consommation de tous les services.

Et si on profitait du retour des beaux jours revenus pour se décomplexer le territoire et respirer à grandes bouffées ce bonheur d’être bien chez nous?


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.