L’humain, pour se définir, pour se détacher de la trame de fond de l’ordinaire, aime à se lancer des défis. Il se calibre par rapport à ses attentes, jugeant de sa valeur en observant sa performance à la ligne d’arrivée, à tort. À tort si son regard est pointé sur la fin, et non sur le parcours. Le parcours est ce qui le définit pourtant : son attitude pendant son cheminement, le chemin qu’il aura parcouru pour se rendre vers son propre Everest.

Dominic Leclerc s’est donné comme défi, à l’été 2011, de suivre, pour le meilleur et pour le pire, les traces d’Alexandre Castonguay à travers les petites routes de la grande région de l’Abitibi-Témiscamingue. Le résultat est le documentaire intitulé Alex marche à l’amour (2013), retraçant le pèlerinage solitaire de l’acteur pendant lequel il s’est efforcé d’apprendre un poème presque aussi long que le chemin qu’il parcourrait, soit La Marche à l’amour, écrit par Gaston Miron au début des années 1960.

On ne parcourt pas 700 km à pied en ne pensant à rien. Il faut s’accrocher à quelque chose, quelques pensées inachevées, quelques réflexions à la logique abîmée, recoudre le sens qui par le temps s’est défait. Alexandre, dans sa marche-répétition, ressasse le fond de l’amour, sa provenance comme sa direction, questionne son émergence et sa disparition, et ce pendant presque l’heure et demie complète que dure le documentaire. Sa marche constitue en soi un hommage à l’amour, parce que lui y a cru. Lui a cru que l’amour valait la peine de dire adieu à tout, le temps d’une longue errance.

Il s’élance, notre Alex (je dis notre parce que, fierté régionale oblige, on se l’est approprié), le sac au dos, la toppe au bec, et entre dans l’arène de la performance, au sens théâtral autant que sportif. Mètre par mètre, mot par mot, il avance et apprend, sur Miron et sur lui-même, croisant les gens de la région qu’il voit défiler. Il est beau de voir l’art venir à la rencontre des gens, d’habitude c’est l’inverse. Alex s’arrêtera souvent sur son chemin pour se faire aider dans sa mémorisation du poème de Miron et il en profitera pour parler de l’idée derrière sa tête : définir le mot qui porte par beau temps un grand A. Les gens qu’il aborde se surprennent alors à réciter de la poésie et à parler romance, sur le pas de leur porte, aux abords de leur quotidien.

Au bout de sa course lente et effrénée, Alex se demande s’il est au bord de l’échec. On le devinera, ses pieds lui font mal, sa tête est pleine, et il ne sait plus s’il est taureau ou toréador, vainqueur ou vaincu. La finale nous fera savoir si le défi était à sa mesure, je vous laisse le plaisir de le découvrir.

Par la passion qui anime Alexandre Castonguay devant la caméra, et par la virtuosité du cinéaste qui a su faire émerger le sens dans l’abstrait, ce documentaire finit par brasser ce qui repose au fond et fait vibrer des cordes que l’on pourrait croire brisées.

Le documentaire Alex Marche à l’amour est distribué par Les Films du 3 mars; restez à l’affût si vous avez manqué sa projection au FCIAT.


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