Cela s’est passé hier… pendant la grosse chaleur de l’été de ce début d’août. Je suis allée au village sur mon quadriporteur. Le voilà déjà tout maquillé de fleurs et de fierté en préparation à sa fête de samedi prochain. C’est tellement beau! Il y a tellement de travail pour arriver à cette beauté offerte pour notre seul plaisir! Cela m’émeut aux larmes. D’où vient cette envie de fleurir toute une collectivité pour la seule beauté? Qui sont les anonymes qui créent ces merveilles ? Ce sont des œuvres d’art sans signature.
Je me suis alors souvenue d’une conversation importante avec Grazie Michaud, notre inspiration à tous. Je lui demandais alors : pourquoi se crever le jaune à créer ses jardins autour de sa maison au bord du lac? Un jardin si beau qu’on vient de loin pour le visiter. Sa réponse? « La vie est pleine de misère, de tristesse, de guerre, de haine. Quand je prends soin de mes plantes, que je vois fleurir les tulipes, les pensées, les capucines, c’est une bonté, une consolation. »
Grazie raconte aussi que cela lui vient d’Emma Boutin, sa mère. Alors que le territoire est bourré d’arbres matures, aux premiers temps de la colonie, il y avait un travail colossal à faire pour bâtir la maison et ses dépendances. Le sol à peine défriché, il fallait penser au potager pour assurer la nourriture aux temps d’hiver. Faire des conserves, des cannages, des salaisons pour la viande, des chambres froides pour les pommes de terre, les légumes-racines… Mais Emma Boutin avait poussé le travail jusqu’à semer, désherber et arroser un parterre de fleurs devant la maison. Elle y avait installé une belle chaise confortable et allait s’asseoir là, dès qu’elle avait besoin de se reposer ou de réfléchir. « C’est ma chapelle personnelle, disait-elle. Quand on est enfant et qu’on voit sa maman s’attendrir au contact des fleurs, ça ne s’efface pas de nos cœurs », ajoute Grazie. « Je continue ce qu’Emma m’a montré. »
Mes pensées continuent de suivre le chemin de l’horticulture. Je me rappelle comment Julienne Cliche, à Rouyn-Noranda, créatrice du Jardin botanique À Fleur d’eau, a changé la face de cette ville en plantant de belles fleurs dans d’immenses bacs aux coins des rues. Souvenez-vous comme cette ville minière avait la réputation d’être la plus laide du Québec! Au début, les gens arrachaient les fleurs à peine poussées. Mme Cliche ne s’est pas découragée. Elle plantait d’autres graines. Les graines plantées dans les bacs étaient en fait aussi des graines invisibles plantées dans le cœur des habitants. Maintenant, presque plus personne n’arrache les fleurs. Maintenant, on peut se promener au Jardin, s’asseoir, espérer… C’est une ode à la bonté et à la beauté. Le réel prend soin autant que les pilules.
Partout en région, il y a des horticultrices qui font pousser la beauté. Qui fait ce travail de fée aux quatre coins de l’Abitibi-Témiscamingue? Je cherche un moyen de rendre hommage à cette armée de femmes parties en guerre contre l’ennui et la laideur… juste pour voir le sourire dans le regard des gens qui examinent les couleurs des pétales.