LISE MILLETTE 

« Je suis quelqu’un qui prend le temps de vivre ». La formule semble simple et, pourtant, la vie de Mélanie Kistabish n’a rien d’un long fleuve tranquille. C’est plutôt une rivière tumultueuse dont la force du courant l’a portée vers toutes sortes de rivages, où elle a su s’ancrer et se démarquer avant de repartir vers d’autres aventures. 

À 51 ans, Mélanie Kistabish a dansé avec Céline Dion à Amos en 1985, lors du 75e anniversaire de la ville. Elle a participé à deux films du Wapikoni mobile, a brillé sur la glace en patinage artistique (une discipline qu’elle a pratiquée pendant 16 ans), s’est exilée à Montréal où elle s’est illustrée dans le domaine de la mode. Après huit ans à Montréal, « tannée du béton », elle revient dans la région et termine son baccalauréat en enseignement. Elle enseigne maintenant la langue anicinabemowin à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). 

« Ma sœur m’a dit, “Coudonc toi, tout ce que tu fais, tu le fais jusqu’au boutte” », lance Mélanie Kistabish en riant avant d’ajouter « Tant qu’à faire quelque chose, on le fait jusqu’au bout », dit-elle lui avoir répondu. 

Courtoisie : École Migwan

Les projets se suivent et les champs d’intérêt sont vastes. Curieuse et amusée, Mélanie Kistabish accepte toutes les rencontres, puisqu’elles mènent souvent à de nouveaux défis. 

Elle fait ainsi la connaissance d’Eza Paventi, réalisatrice et pionnière du projet de cinéma Wapikoni mobile, à Pikogan, lors de la première véritable sortie de la roulotte. Un premier film, Vivre comme Anna, a été tourné sur les œuvres vestimentaires de Mélanie qui venait alors de terminer ses études à l’Académie internationale du design, à Montréal. Un deuxième film documentaire, Lac Abitibi, qui revisite les traditions de ses ancêtres, a été tourné plus tard. Son lien avec Eza Paventi est resté, puis celle-ci lui a présenté Lucille Lesueur. Ce trio improbable, formé d’une Anicinabe, d’une Italienne et d’une Française, vient de terminer l’ouvrage Princesse Belzébuth au pow-pow, aux Éditions Les Malins, qui était d’ailleurs présenté au Salon du livre de l’Abitibi-Témiscamingue qui se déroulait à Amos. 

Ainsi, Mélanie Kistabish réussit tout ce qu’elle touche, et ses succès ne passent pas inaperçus. 

« C’est drôle, je ne cherche pas le spot, mais le spot arrive toujours sur moi », rigole-t-elle à l’idée de cet article retraçant son chemin de vie. 

Photographe : Bojo’s Film

Enseigner la langue perdue 

« Quand je suis allée à Montréal, j’ai réalisé que j’étais en train de manquer quelque chose. J’avais des amies qui parlaient au téléphone avec leur famille. Une Serbo-Croate, une Espagnole, une Arabe : elles parlaient dans leurs langues. J’ai alors compris que c’était ma responsabilité pour la mienne. » 

Elle confie avoir commencé à enseigner et y avoir trouvé une voie naturelle. D’abord à l’école Migwan de Pikogan en première année, puis en quatrième année, et maintenant, elle y enseigne tous les niveaux en langue anicinabe, en plus d’avoir une charge de cours à l’UQAT. « Je commence mon premier cours en disant, “Je suis en train de vous enseigner une langue qui était interdite. Pensez au chemin qu’on a parcouru alors qu’aujourd’hui j’enseigne ici à l’UQAT une langue pour laquelle mes parents se faisaient battre quand ils la parlaient” ». 

Sa mère avait 9 ans lorsqu’elle est entrée au pensionnat. Mélanie Kistabish estime que ce passage obligé a laissé des traces, mais qu’il a aussi nourri une volonté de se réapproprier une identité. Sa mère, Molly Mowatt Kistabish, a ouvert l’école à Pikogan. « Et à 20 ans, ma mère avait une voiture. C’est une battante. La pomme n’est pas tombée bien loin de l’arbre », confie-t-elle. 

À sa manière, Mélanie Kistabish fait en sorte de poursuivre ce travail, de s’assurer que la langue et la culture demeurent bien vivantes. Lorsque la pièce déambulatoire Amos vous raconte a décidé d’intégrer à sa trame narrative l’histoire des Abitibiwinnik, elle s’est jointe au projet et a plongé dans le récit historique. 

Éditions Les Malins

FAMILLE D’ACCUEIL 

« Tout ce que j’ai fait a marché, sauf faire des bébés. Ma fille, je ne l’ai pas conçue, je l’ai eue préfabriquée », mentionne-t-elle. Elle et son conjoint des 20 dernières années n’ont pas eu d’enfants, mais ils en ont hébergé plusieurs et sont devenus tuteurs légaux puisque la fillette qui séjournait avec eux n’était pas admissible à l’adoption. Mélanie a aussi pris sous son aile un garçon plus âgé. 

Ainsi en marge des projets trépidants, de ce livre Princesse Belzébuth au pow-wow qui pourrait bien déboucher sur une suite, de ses activités familiales et culturelles, elle est aussi famille d’accueil. 

« J’ai toujours été quelqu’un qui faisait beaucoup d’affaires », résume-t-elle. C’est une évidence! 


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.