À lautomne dernier paraissait un livre intriguant qui semble être passé sous le radar de la presse locale. Pourtant, The Cold War in Val-dOr: A History of the Ukrainian Community in Val-dOr, de Myron Momryk, aborde dune façon peu conventionnelle tout un pan de lhistoire régionale. 

 

Dans ce récent opus, lauteur, ex-Valdorien et historien de métier, propose une « micro-histoire » de la communauté ukrainienne valdorienne. Tout en intégrant dans le champ de son étude certains épisodes antérieurs associés à la présence ukrainienne dans la région (tel que l’internement de nombreux Ukrainiens à Spirit Lake, près dAmos, pendant la Première Guerre mondiale ou la tentative détablissement dune colonie ukrainienne sur les rives du lac Castagnier à la fin des années1920), lauteur se penche principalement sur la période allant du début des années1930 aux années1990, de létablissement des premiers Ukrainiens à Val-dOr/Bourlamaque à la période qui voit, selon lui, la communauté ukrainienne locale décliner, après des années d’effervescence. 

 

LES UKRAINIENS DE VAL-D’OR/BOURLAMAQUE 

 

Comme relaté par Momryk, les premiers Ukrainiens à sétablir dans le secteur, la plupart arrivés dans lentre-deux guerre, sont de ceux qui, percevant les échos du boom minier naissant, rejoignent la région, poussés par la précarité provoquée par la crise de 1929. Ils prennent alors part à leffervescence du camp minier émergent. Ils fondent des commerces, des restaurants, des associations préfigurant aux institutions que se donnera la communauté ukrainienne locale dans les décennies suivantes. Ils sont rejoints en 1948 par des compatriotes ayant atterri dans des camps de réfugiés en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, et qui ont refusé de rentrer en Ukraine soviétique. Ils sont admis au Canada sur la base de contrats de travail dans les mines, entre autres, et certains sinstallent à Val-dOr. 

 

VAL-D’OR ET LA GUERRE FROIDE  

 

Mais que vient faire la guerre froide là-dedans? En fait, comme Momryk le montre à travers un travail de recherche aiguisé et s’appuyant notamment sur des rapports de surveillance de la GRC (bien active, surtout pour infiltrer les groupes de gauche), les tensions qui traversent cette époque trouvent un terreau fertile dans la région de Val-dOr, des années avant le début théorique de la guerre froide. De plus, au sein de la communauté ukrainienne locale, le fait dêtre prosoviétique ou nationaliste (en faveur dune Ukraine indépendante) navait rien danodin. Cest que les luttes politiques menées en Europe ne sont pas loin dans les bagages des immigrants ukrainiens et se poursuivent au sein de leur communauté canadienne. De fait, pour Momryk, « dans la communauté ukrainienne canadienne, la guerre froide a commencé au début des années 1920 » (p. 34, traduction libre). 

 

Dès 1935, des associations ukrainiennes locales, tant nationalistes que procommunistes, voient le jour. Elles comptent rapidement plus dune dizaine de membres chacune et mettent en place dimportants cycles dactivités sociales, culturelles, politiques, qui marqueront le tempo dans la vie de la communauté ukrainienne locale. En 1937, la branche valdorienne de la Fédération ukrainienne nationale (UNF  nationaliste) fait construire une salle communautaire, le UNF Hall qui sera lépicentre de laile nationaliste de la communauté pendant des décennies. Cela se déroule dans un climat tendu : lors dune dansebénéfice organisée par lUNF en 1936, une bagarre éclate entre les procommunistes et les nationalistes. Ces lignes de fractures demeurent pendant des décennies et sexpriment périodiquement lors d’événements marquants. En mai 1948 à Val-dOr, par exemple, a lieu une manifestation anticommuniste à laquelle participent des membres de la communauté ukrainienne locale, et dont certains diront quelle sera la plus importante manifestation du genre à lépoque au pays. 

 

Avec la publication de The Cold War in Val-dOrMomryk ajoute un pan à lhistoire sociale de Val-dOr/Bourlamaque et nous rappelle que lhistoire de nombre de nos communautés – carrefours, sil en est  est multiple, éclectique, et échappe aux réductions simplistes. Par la bande, ce livre invite les lecteurs à sintéresser à cette multiplicité des voix qui en compose la trame, de même quà la cultiver, ces voix ayant toutes quelque chose à raconter sur nous et les lieux que nous habitons.