Philippe Letourneur, l’auteur du roman L’odeur des pierres, publié aux Éditions du Quartz en 2015, est décédé le vendredi 9 octobre 2020. Il a passé les treize dernières années de son existence paralysé de la tête aux pieds dans une chambre d’hôpital en France, à Nantes, sa ville natale.
Philippe et moi avons fait connaissance alors que j’entamais mes études à la Faculté des Lettres de l’Université de Lyon. Il parcourait la région lyonnaise dans sa 2CV Citroën à prospecter des clients pour le compte des machines à écrire Olivetti. Après quelques années joyeuses et turbulentes jusqu’aux événements de Mai 68, nos chemins se sont séparés jusqu’à mon engagement au Cegep de Rouyn-Noranda, en septembre 1969. Ayant décidé de profiter des vacances d’été pour visiter l’Ouest canadien, Philippe m’a rejoint à Vancouver pour une grande virée au Yukon et en Alaska, jusqu’au cœur du parc du Denali à courir après les grizzlys, quand ce n’était pas le contraire. Tous deux mordus de photographie et de film d’aventures, nous avons remis cela deux étés plus tard en descendant la rivière Harricana en canoë, d’Amos à la Baie-James. Les images qui racontent cette aventure nous ont valu une bonne notoriété en France et une année de vie commune à sillonner le pays pour présenter notre perception du Québec aux cousins français.
Émigré à son tour au Canada, Philippe, féru de littérature et fasciné par la vie des chercheurs d’or, s’est lancé à corps perdu dans l’exploration minière, apprenant sur le tas les rudiments de la géologie et la rudesse de la vie du prospecteur. Il a passé des étés à être harassé par les maringouins et des hivers à geler sous une tente. Incapable de se fixer longtemps à la même place, après un séjour de deux années en Équateur à pousser la fondation de coopératives de travailleurs pour l’organisme Solidarité Union Coopération, il a fréquemment transité entre l’Abitibi et son pays nantais. Là-bas, il avait entrepris avec des amis la construction d’un voilier de haute mer, rêvant de bourlinguer autour du globe pour le reste de ses jours.
C’est malheureusement au retour d’une journée de travail sur un tel chantier qu’un bête accident de vélo l’a cloué définitivement dans un énorme fauteuil, avec seulement sa tête pour le manœuvrer. Après une longue période d’acceptation et d’adaptation à sa nouvelle vie de handicapé majeur, il a entrepris le projet qui lui trottait dans la tête depuis déjà plusieurs années : raconter le monde de la prospection dans un roman de fiction, en majeure partie autobiographique. La production d’un tel récit dans sa condition est en soi un exploit. Philippe dictait phrase par phrase des parties de son texte à un système de traitement de la voix sur son ordinateur, avant de les envoyer à son amie Suzanne Dugré et à son éditrice Marie-Claude Leclercq aux Éditions du Quartz pour obtenir leur avis et leurs corrections. Chapitre après chapitre, après trois longues années d’échanges compliqués et parfois difficiles entre l’auteur et ses guides, de corrections en réécriture, le roman a fini par aboutir à sa version définitive. Cela au grand désespoir de Philippe, qui aura tout fait pour retarder sa conclusion et prolonger sa rédaction, car cela donnait un sens à son confinement dans un corps immobile, toujours souffrant.
Il laisse en Abitibi de nombreux amis et amies qui se souviendront longtemps de son enthousiasme pour les idées, la littérature, le cinéma et la nature, et de sa bougeotte incessante qui l’amenait toujours à espérer trouver ailleurs une solution à ses angoisses existentielles.
Qu’il repose maintenant en paix.