Diplômée du Conservatoire de musique de Montréal, Isabelle Trottier n’a jamais arrêté de se former, au Canada ou à l’étranger. Elle a également interprété certains des plus grands rôles de Mozart, de Gounod et de Puccini. Depuis l’été 2019, elle dirige le Conservatoire de musique de Val-d’Or après y avoir enseigné les quatre années précédentes. Elle nous parle de son travail, de ses préoccupations pour les arts vivants à cause de la COVID-19, de ses espoirs, et nous fait des suggestions pour mieux nous retrouver dans l’immense répertoire classique.

Le questionnaire

F. A: En quoi consiste le travail d’une directrice de conservatoire?

I. T: La direction du Conservatoire de Val-d’Or fait partie d’un réseau de neuf établissements soutenus par une direction générale qui relève du Ministère de la culture. Elle a le grand privilège de donner des lignes directrices, une vision à une équipe ici à Val-d’Or. Mon travail consiste donc à prendre soin d’un corps professoral de très haut niveau qui enseigne à des élèves qui ont une intention d’excellence. Ça fait partie de la mission du Conservatoire de former des professionnels. Mais on ne sait pas encore si on veut nécessairement être professionnel à 10-12 ans. En tout cas, nos élèves ont l’intention d’excellence. Ils ont envie de performer, d’aller loin. Les professeurs qui prennent soin de ces élèves-là sont aussi des musiciens professionnels. Mon travail consiste à m’assurer qu’ils ont assez de travail pour bien vivre en région, qu’ils se sentent épanouis dans leur vie d’artistes professionnels, que les élèves qui viennent étudier chez nous se rendent à destination de leur projet de formation. Certains commencent tôt. La majorité d’entre eux vont se rendre au moins au DEC. Certains, jusqu’au bac. Je dois aussi m’assurer qu’ils vont être prêts pour côtoyer les autres musiciens de leur niveau, qu’il n’y aura pas de démarcation, s’ils décident de partir à l’extérieur de la région. Il s’agit aussi pour moi de m’assurer que les élèves et le corps professoral contribuent à l’écosystème de la musique classique en région, que mon lieu physique soit disponible à tous ceux qui aimeraient l’utiliser. On a le bonheur d’avoir un établissement récent, bien situé, agréable. Je m’assure que le Conservatoire est un acteur bien vivant dans la communauté. Mon objectif, c’est de servir les besoins des gens de l’Abitibi-Témiscamingue. Les besoins sont différents d’une communauté à l’autre. Chaque conservatoire a donc ses couleurs. Je dois tenir compte du fait que j’ai des élèves qui viennent d’Amos, de La Sarre, de Rouyn, etc. Je dois m’assurer que tous les élèves ont accès aux services du Conservatoire du mieux que je peux. J’ai cette année 84 élèves inscrits. Ils sont dans des programmes variés. Le Conservatoire leur offre une formation préparatoire qui relève de l’âge scolaire. J’ai aussi une formation collégiale et une formation universitaire.

F. A: Comment le Conservatoire s’accommode-t-il de la situation sanitaire?

I. T: Au printemps, notre défi était de rester aux aguets de ce qui se passait dans les différents milieux qui sont nos homologues. Ce qui se fait à l’école a un impact sur ce que je fais. Il y avait un grand défi pour être à l’écoute de tout ça, car selon qu’on était à l’Université, au cégep ou à l’école, ce n’était pas la même situation. Pour la prochaine année, c’est la mise en place des mesures de la CNESST pour les travailleurs de la culture et les milieux de la formation. Donc on doit être capables d’offrir les services avec les mesures d’hygiène en vigueur. On a organisé nos espaces en conséquence. On a dû transformer toute notre programmation. On est dans un milieu de musiciens. Le musicien a besoin de faire des concerts pour être stimulé. L’élan d’artiste a besoin de jouer. Mais il a fallu prioriser notre mission de formation. On a élagué beaucoup, car on ne peut pas recevoir beaucoup de gens dans notre salle. J’ai une salle qui peut accueillir 104 personnes, mais avec les mesures en place je peux en recevoir seulement 23.

F. A: Du coup, ça met un peu à mal le souci de la démocratisation de la musique classique qui te tient à cœur…

I.T: Cette année ne sera pas celle où on sera le plus proactif. Mais on va utiliser les outils numériques pour rester présent dans la mémoire des gens. Le milieu de la musique classique devient rapidement invisible, donc on va utiliser tous les outils nécessaires, toutes les plateformes pour rester visible. D’ailleurs, la page Facebook du Conservatoire est un peu plus active. C’est une situation très préoccupante pour le milieu des arts vivants. On a été assez privilégiés au Conservatoire d’avoir des salaires assurés pendant le printemps. Il reste qu’on est un élément dans un écosystème. Donc tout l’écosystème est maintenant fragilisé. En région éloignée, c’est encore plus vrai. C’est un équilibre délicat. Les écoles privées sont dans une situation difficile et essaient de trouver les moyens pour survivre. Nous, on ne fait pas exception. C’est la même situation. Il ne faudrait pas que les écoles profitent de cette situation pour enlever le peu de cours de musique qui s’y donnent. Cela fragiliserait encore plus le milieu. La culture ne disparaitra pas, mais il faut penser à la survie des personnes qui la font exister.

F. A: Comment as-tu survécu au confinement?

I. T: Personnellement, je travaillais dans deux villes différentes. La semaine, j’étais à VD et le week-end à RN. J’ai trouvé que c’était un cadeau de pouvoir être à la maison, mais il fallait gérer toute l’administration à distance. Pour quelqu’un qui est en intégration de direction, j’avoue que ça a été une école extraordinaire de vivre les défis du gestionnaire COVID. Mes nuits étaient courtes et mes semaines bien chargées.

F. A: Il y a-t-il une pièce en particulier qui t’a accompagnée pendant cette période?

I. T: Les Variations de Golberg jouées par Glenn Gould ont vraiment fait partie de mes éléments calmants. C’est du Bach, donc c’est une œuvre de cœur et de tête. Il y a quelque chose de très mathématique. Quand on fait un travail d’administration, on est dans notre tête, donc cette musique s’écoute en même temps. Et puis ce que Glenn Gould arrive à présenter, c’est très beau. Moi, je suis une fille de trip. J’écoute de la musique de grands élans. C’est pour ça que j’ai choisi l’opéra. Ça prend des émotions fortes. Mais je ne peux pas me mettre dans cet état-là quand je travaille. Alors j’ai besoin de trouver un répertoire qui fait la juste mesure où je suis capable de me laisser aller. La musique de Bach, c’est la musique parfaite pour moi parce que ça fait appel à ma tête.

F. A: Que conseillerais-tu d’écouter à quelqu’un qui voudrait se mettre à la musique classique?

I. T: Il y a des millions d’œuvres disponibles et la musique classique s’étend sur des centaines d’années dans plein de pays différents. Ce qu’il faut, c’est éviter des œuvres qui peuvent nous irriter. Comme on le ferait avec la musique populaire. La pièce de musique dépend toujours de la personnalité de la personne. C’est donc très difficile de faire une seule proposition. Quelqu’un qui s’initie à l’opéra par exemple et qui aime la légèreté va aimer Mozart, Rossini. C’est une musique facile d’écoute. Mais quelqu’un qui est comme moi et qui a besoin d’émotions fortes s’en ira vers Puccini. Mais il faut les voir, il ne faut pas les écouter à la radio. Du Bach aussi, c’est assez universel.

Crédit: Marie-Claude Robert


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