Pour calmer les ardeurs des curieux, on consultait autrefois les oracles et les devins, les diseurs de bonne aventure, les augures scrutés dans le ciel et les prophètes dénichés dans les grottes. C’était rassurant de savoir où on allait. Dans le doute, on pouvait toujours brûler une sorcière pour conjurer le mauvais sort. Si les choses tournaient vraiment mal, c’est que le destin l’avait voulu. Fatalité. Aujourd’hui, dans notre monde rationnel et calculé, il ne nous reste plus que les froides prévisions mathématiques. Ces modèles statistiques dynamiques en forme de graphiques empilés sur des courbes normales… Et malgré tout ce cirque, les prévisions sportives dépassent rarement un taux de succès de 50 %, l’issue des élections reste incertaine et la courbe d’infection qui nous inquiète tant fléchit d’étrange manière. Comment se fait-il que nous peinions encore à établir des prévisions fiables?
Eh ben, c’est le facteur humain. On voudrait un monde rationnel et prévisible, mais nous ne le sommes pas. Malgré toutes les prouesses scientifiques modernes, l’avenir reste incertain. Pensons à l’élection de Donald Trump. La quasi-totalité des sondages avait prévu sa défaite. Qu’est-ce qu’on n’avait pas prévu? Le facteur humain. Soit la honte de sa véritable couleur électorale, le changement de cap, le faux pas, l’impulsion, l’intuition du dernier moment. Toutes des choses qui se calculent très mal. Collectivement, nous peinons à accepter l’imprévisible, surtout lorsqu’il provient de nos impulsions.
D’autre part, certaines facettes de nos sociétés modernes sont devenues si complexes qu’elles en sont incompréhensibles. Le commun des mortels comprend peu le système économique et – rassurez-vous – pas même les spécialistes. Pour preuve, dans les années 1980, les produits financiers sont devenus si complexes que la découverte d’une valeur était sujette à un prix Nobel d’économie. En 1998, deux lauréats devenus directeurs du Long-Term capital Management ont fait un pari risqué qui a fait plonger le monde financier au bord de la catastrophe… Sorte de leçon d’humilité.
Il y a aussi les ambitions mathématiques à grande échelle. Quantifier la qualité de vie humaine, par exemple. Exercice douteux. L’ONU a substitué l’IDH, l’« indice de développement humain », au PIB. Manière de hiérarchiser les sociétés humaines, mais avec des critères humanistes objectifs en apparence. On a aussi vu naître quelques indices de bonheur tantôt amusants, tantôt truffés de calculs mystiques. Je vous le demande, peut-ont vraiment tout calculer? Tout rationaliser? À combien sur dix êtes-vous conscient de votre genou? Pourriez-vous quantifier votre peine en millilitres? Enfin, face à l’échec des prévisions récentes, nous cherchons des failles dans les chiffres alors qu’il serait plus sage d’accepter l’inconnu, de laisser place à l’erreur humaine, à notre nature imprévisible. Peut-être serions-nous plus sereins avec l’avenir en rangeant la boule de cristal.