Corinne Lecours est originaire de Rouyn-Noranda. Elle partage avec nous un poème touchant adressé à son père qui s’intitule Super Man. 


Je danse depuis l’âge de 5 ans,


Tu n’as jamais pleuré à mes spectacles,


Sauf aujourd’hui.


Je réalise que c’est la dernière fois,


La dernière fois que tu es dans la salle,


La dernière fois que tu m’applaudis.

Je rentre du bar,


Tu fumes dans le solarium,


J’ai soudainement peur.


Je suis saoule,


Les émotions sortent,


Je morve ta mort sur ton épaule fragile.

Je me réveille,


Tu cries mon nom,


C’est un cauchemar.


Je descends,


Tu fais une hémorragie interne,


Mais tu es trop têtu pour nous quitter tout de suite.

Tu me surprends en me faisant part de tes craintes,


Tu avais l’air invincible,


Trop orgueilleux.


Tu as peur de nous laisser seuls,


Dans ce monde où, dis-tu,


« Personne ne nous aimera autant que toi. »

À la table,


On mange du steak,


Tranquilles.


À 43 ans autour d’un fucking steak,


Tu commences à parler


De tes arrangements funéraires.

Je suis à Hawaii,


Tu es à Rouyn,


Malade comme un chien.


Je me fais tatouer ta date de fête,


Écrite de ta main,


Pendant que tu t’apprêtes à mourir.

Tu me fais pourtant voir la vie comme une partie de plaisir,


Qui ne cesse de continuer,


Tant que l’on y croit.


Tu fais aveuglément confiance à ton destin,


Et au mien,


C’en est déboussolant.

Ce qui me manquera de toi,


Ce sont toutes les petites parties de ton existence,


De ta jeunesse à ta mort.


Ce qu’il me manquera de toi,


C’est tout ce que je n’aurai pas connu de ta personne,


Alors je chercherai toute ma vie à te connaître davantage.

Ceux qui te connaissent,


Me connaissent un peu plus.

***

« À Rouyn-Noranda,


Est décédé le 6 août 2019,


À l’âge de 43 ans,


Monsieur Jason Lecours,


Fils de monsieur William « Bill » Hanna et de madame Lorraine Lecours. »

Il laisse dans le deuil,


Outre ses parents, ses enfants :


Corinne, Isaac, Lisanne et Jessica;


Sa grand-mère Marguerite,


La mère des enfants Katy,


Les conjoints respectifs de ses parents :


Réjeanne Aumond et Léo Fluet;


Ainsi que de nombreux parents et amis.

Monsieur Lecours sera exposé,


Le vendredi 16 août 2019 de 14h à 17h et de 19h à 22h,


Ainsi que le samedi 17 août 2019 dès 9h,


Au Complexe funéraire J.H. Fleury,


Du 515, avenue Chénier à Rouyn-Noranda.

Les funérailles auront lieu également,


Le samedi 17 août 2019 à 11h,


En la cathédrale St-Joseph de Rouyn-Noranda.

Un merci infini à tous ceux et celles ayant accompagné Jason dans la maladie.

La famille vous invite à offrir un don à la Société canadienne du cancer. »

***

Tu étais laid embaumé,


Et puisque tu étais si fier,


Tu n’aurais pas aimé avoir l’air de ça devant tout le monde.


Nous avons laissé notre image de toi s’enlaidir quelques heures,


Et fermé le cercueil à 14h,


À l’arrivée de tous.

Sur « My Way » de Frank Sinatra,


Pour l’ouverture de la messe,


J’ai étrangement ri en marchant vers l’avant de l’église.


Sur « Over The Rainbow » de Eva Cassidy,


J’ai pleuré la disparition de ton pauvre corps,


Embarqué dans le corbillard, sur le chemin de la crémation.

Est-ce que crémation est synonyme de paradis?


Ou bien de néant?

***

Dans la tête j’ai une image de toi,


À bout de souffle,


Mort sur ton fauteuil.


Dans le cœur j’ai une image de toi,


Avec un chandail de Super Man,


Coupe de rouge à la main.

Je t’ai vu dans mon rêve,


Vêtu de bleu,


Sur ton fauteuil.


Je t’ai apporté avec moi,


Le fauteuil chez maman,


Bientôt dans mon appartement.

Chez elle tu perds tout ton sens,


Je ne te vois plus,


Ne te sens plus.


Chez toi une famille s’est installée,


S’appropriant la maison,


Prenant ton espace.

J’espère que tu les hantes,


Qu’ils vendront,


Et que j’achèterai.


J’espère que tu t’y trouves encore,


Car si tu n’y es pas,


Je ne sais plus où chercher.  

Le paradis c’est trop loin,


Tu dois être quelque part tout près.

***

J’attends un signe de ta part,


Une apparition, 


Ou un déplacement d’air.


J’attends que les étoiles me regardent,


Qu’elles me transmettent tes clins d’œil,


Tes câlins de loin.

J’ai ton signet funéraire dans mon auto,


Ton porte-clés dans les poches,


Ta chemise dans mon tiroir.


J’ai pourtant si peur d’oublier ta voix,


Ton odeur,


Et ton rire.

Une chance que j’ai grand-papa,


Pour me rappeler le bleu de tes yeux,


La sincérité de tes paroles.


Une chance que j’ai mamie et Jeanne,


Pour me raconter ta jeunesse,


Pour me souvenir de ce que j’oublie.

Mais toi,


Te souviens-tu?

***

J’écoute du Billy Joel,


J’en joue,


Lisanne en chante.


J’écoute du Elton John,


Je connais les paroles,


Comme si tu me les soufflais à l’oreille.

Mon char ne part pas,


763-1111,


Tu ne réponds pas.


Mon oncle Robert joue ton rôle,


Il est plus doué en mécanique que maman,


Alors c’est lui que j’appelle.

Pour la première fois,


Tu n’es pas avec nous pour fêter Noël,


Mais nous avons reçu le cadeau que tu nous avais dédié d’avance.


Pour nous consoler,


Tu nous offres chacun un cousin décoratif,


Fait à partir de l’une de tes nombreuses chemises colorées.

Je sers un monsieur au restaurant,


Il me fait penser à toi,


Il fait rire sa petite-fille.


Je réalise que ma fille à moi,


Elle n’aura pas de grand-papa,


Elle ne connaîtra pas Grand-père Jay.

Parfois j’arrête de respirer un instant,


Pour savoir combien de temps je peux retenir mon souffle,


En étant toujours consciente.


Parfois je me demande si pendant que tu mourais,


Tu m’entendais te dire,


« C’est correct papa, tu peux partir. »

Ton absence me blesse parce qu’elle est tangible,


Parce que tu m’habites le sang,


Alors que personne ne peut te sentir de cette façon.


Ta petite-fille ne comprendra pas d’où je viens,


D’où vient mon perfectionnisme,


D’où vient ma haine pour les vêtements sobres.

Une absence présente,


Une âme de plus qui flotte.

***

Tes cendres dans une urne,


Un pendentif,


Un reliquaire.


Ton âme dans mon cœur,


Dans mes pensées,


Dans mes gestes.

Physiquement perdu,


Mais présent toujours.

Je t’aime.