La crise causée par la COVID-19 étant maintenant bien ancrée au Québec, force est de constater que la stupéfaction initiale se dissout tranquillement pour faire place à de nombreuses autres réactions collectives. Sur mes fils d’actualité socionumériques, les mèmes se moquant de clients achetant du papier hygiénique pour trois ans font place à toutes sortes de partages d’information et de textes proposant des réflexions diverses : à quoi ressemblera la sortie de crise? Quel avenir pour notre économie? Quand et comment pouvons-nous penser rouvrir les garderies et les écoles de façon sécuritaire? La réaction des pouvoirs politiques au Québec et au Canada face à la crise était-elle la bonne?

Au milieu de ces questions et de ces réflexions, toutes plus pertinentes les unes que les autres, on peut voir des tendances socionumériques parallèles se manifester : les fausses nouvelles et les théories du complot abondent, tout autant que la propagation de nouvelles médicales douteuses, où l’on donne une crédibilité disproportionnée à une étude exploratoire sur des pistes thérapeutiques qui demeurent entièrement à valider face à la pandémie qui sévit. Ces deux tendances fonctionnent de pair pour instaurer un climat de méfiance particulièrement nocif face auquel il est essentiel de se prémunir.

Si j’avais à définir un bon et un mauvais côté à cette crise du point de vue de notre relation avec les médias, je proposerais cela : d’un côté, la figure de l’expert (qu’il soit un expert médical, pharmacologique, économique, politique, et même philosophique) semble générer beaucoup plus de crédibilité que par le passé, et c’est une excellente chose. Mais cette crédibilité est principalement cantonnée dans les médias dits traditionnels (radio, télévision, presse écrite). Par ailleurs, on voit émerger du contenu beaucoup moins constructif et beaucoup plus néfaste sur les médias socionumériques, à travers une recrudescence intensifiée des fausses nouvelles.

Dans cette conjoncture médiatique particulière, il faut plus que jamais demeurer vigilants et critiques face à ce qui nous parvient. Par exemple, en ce qui trait aux recherches menant vers des traitements ou des vaccins, les recherches entourant certains médicaments existants (tels que l’hydroxychloroquine ou certains antirétroviraux) font couler beaucoup d’encre. D’un côté, cela participe à redonner à la recherche ses lettres de noblesse auprès d’un public plus large. Par contre, les délais nécessaires pour homologuer ces médicaments pour le traitement de la COVID-19 créent une certaine impatience et donnent lieu à des raccourcis parfois dangereux. Parce que ces médicaments sont déjà homologués pour le traitement de maladies existantes, il est vrai que certains types d’essais cliniques préliminaires – en lien avec la toxicité, par exemple – n’ont pas nécessairement besoin d’être faits à nouveau. Par contre, il est faux de croire qu’on peut simplement administrer ces médicaments à des personnes gravement atteintes sous prétexte qu’elles sont face à la mort de toute façon. La recherche nécessite des protocoles méthodologiques rigoureux, sans quoi il est impossible de poser des conclusions face aux données colligées. Il est possible qu’un médicament existant se révèle efficace contre la COVID-19, mais il faudra beaucoup plus que des recherches exploratoires localisées et menées sur des sujets limités, sans groupes de contrôle, pour en arriver là. Alors, de grâce, laissons le monde de la recherche faire son travail sans répandre de faux raisonnements ou de nouvelles hâtives.

Il en va de même avec les fausses nouvelles et les théories du complot, plus foisonnantes que jamais. C’est l’essence même de notre nature humaine que de vouloir des explications pour tout ce qui nous arrive. Comme nous traversons une crise sans précédent – du moins pour la majorité d’entre nous –, il peut être tentant de trouver une forme de réconfort au sein de trames narratives qui semblent expliquer l’origine des événements actuels. Mais il demeure sidérant de voir le nombre de partages de publications proposant que la Chine ait créé le virus qui nous occupe dans le but de déstabiliser nos économies occidentales, ou de lire que « la Chine a remporté la Troisième Guerre mondiale sans tirer de missiles ». Ces théories sont carrément fantasmatiques dans la mesure où elles fonctionnent exactement comme un fantasme : elles cachent une réalité beaucoup plus problématique, voire traumatique. Alors, il faut se demander ce qui se cache derrière le fantasme des théories du complot : la peur de l’Autre? Le besoin d’un bouc émissaire? L’abysse généré par l’absence de réponses?

Et en se posant ces questions, il faut à tout prix éviter de partager ces fausses nouvelles et ces théories complotistes. En cas de doute, Radio-Canada propose des étapes à suivre avant de partager une information. La propagation de fausses nouvelles complexifie largement une situation déjà explosive à d’innombrables niveaux…


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