Il est sans doute prématuré de tirer des conclusions définitives sur les impacts socioéconomiques, politiques et sociétaux de la crise sanitaire que nous traversons. On les prévoit. Ce qu’on ne manque pas de faire. À ce propos, le philosophe Michel Onfray a prévenu que la pandémie « va laisser des traces et changer [dans] nos vies plus que ce que l’on imagine ». Pour sa part, Edgar Morin, aussi philosophe, a soutenu que la crise sanitaire débouche sur une crise de civilisation, « car elle nous oblige à changer nos comportements et change nos existences, au niveau local comme au niveau planétaire ». Rien de moins. Pour preuve, on est passé d’animal social à animal en cage. Du jour au lendemain. Voilà qui met la table pour examiner certains effets déjà partiellement documentés de la crise sur le milieu culturel régional.

Le Conseil de la culture de l’Abitibi-Témiscamingue (CCAT) s’est prêté à cet exercice en réalisant un sondage, auquel ont répondu 105 organismes et travailleurs autonomes établis dans les 5 territoires de MRC, sur les impacts de la crise dans le milieu culturel entre le 14 et le 30 mars. Sur le plan des finances, certains répondants ont affiché un déficit allant jusqu’à plus de 10 000 $ à cause, entre autres, de l’annulation de contrats et de pertes de revenus. Outre les pertes financières, la vitalité culturelle et artistique de la région se trouve fortement affectée. En effet, ce sont plus de 670 activités qui auront été annulées pendant ces 2 semaines. Certaines de ces annulations, ne pouvant pas être reportées, ont des répercussions directes sur la vie de l’œuvre, sur la carrière de l’artiste ou sur la survie de l’organisme. Certes, le confinement aura permis à certains artistes de consacrer plus de temps à des projets de création, en attendant des jours meilleurs. Mais, dans l’ensemble, ce sont des collaborations avec d’autres artistes qui tombent à l’eau, des productions qui s’arrêtent, des diffusions qui sont reportées. Est-il alors besoin de dire que les habitudes de consommation sont chamboulées? Pis encore, il ressort du sondage réalisé par le CCAT une grande incertitude du milieu culturel et artistique, car rien ne permet de déterminer quel sera le comportement du public après un arrêt prolongé des activités. Par exemple, on ne peut pas prévoir si les salles de spectacles seront fréquentées après la levée des mesures de confinement étant donné que plusieurs personnes ont perdu leur emploi. En d’autres termes, le milieu culturel risque de se retrouver dans une forme de dérégulation pendant quelque temps.

Ces données ne font que brosser un portrait partiel de la situation. De même, certaines mesures déjà mises en place permettent d’amortir les impacts de la crise. Les programmes tels que la Prestation canadienne d’urgence (PCU) du gouvernement fédéral donnent un répit à la plupart des travailleurs de l’industrie culturelle et artistique. En ce qui concerne les artistes, il y a des représentations en cours afin de leur permettre d’accepter des contrats dont le montant serait équivalent à un certain pourcentage de la PCU. Certains organismes pourraient bénéficier d’une subvention pour maintenir les liens d’emploi avec leurs employés. Toutefois, les mesures adoptées par le gouvernement fédéral ne sont pas toujours adaptées aux entreprises œuvrant dans le milieu culturel qui n’ont pas un modèle correspondant aux critères établis. Des pourparlers sont en cours afin de faciliter l’accès de ces organismes à ces subventions pour qu’ils puissent survivre. Par ailleurs, les grands organismes subventionnaires ont décidé de décaisser leur premier versement aux bénéficiaires pour l’année 2020-2021.

À défaut de relever les défis posés à l’industrie culturelle régionale par la crise, ces mesures lui permettent réfléchir à la suite, bien qu’on ignore de quoi demain sera fait. On l’a toujours ignoré. C’est sans doute l’essentiel de ce que rappelle cette crise, nous dit Edgar Morin.  


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