La pièce de théâtre À quoi rêvent les jeunes filles? est une création de la témiscamienne Louise Lavictoire, en collaboration avec Mylène Brail-Mantha et Stéphanie Lavoie. Si tout se déroule comme prévu malgré la situation particulière qui a cours actuellement, l’oeuvre sera présentée les 17 et 18 avril prochains à l’Agora des Arts, à Rouyn-Noranda. En voici un extrait: 

Résumé de la pièce : Chroniqueuses pour le téléjournal de leur école, Lys et Andréa vivent leur dernière année au secondaire. Diverses expériences, dont un voyage humanitaire et une participation à la journée mondiale dédiée à la jeunesse féminine à l’ONU, les conscientisent sur certaines problématiques d’ordre sociale, écologique, éthique, politique…

Tableau 8 – La collision

Andréa et Lys sont sous une petite tente érigée dans la cour d’Andréa. Le temps est orageux.

L’AUTRUCHE


1er mai 2021.

ANDRÉA


Je peux pas m’imaginer tuer quelqu’un. Je me demande comment les nazis ont fait pour exterminer autant de Juifs. Hier, on a frappé une petite autruche avec l’auto, puis j’ai pleuré ma vie. Imagine si ça avait été un humain.

LYS


Comment ça qu’il y avait une petite autruche dans le chemin ?

ANDRÉA


Monsieur Bergeron a un élevage dans ce coin-là. Elle a dû se sauver de l’enclos.

LYS


Étais-tu avec ton père ou avec ta mère ?

ANDRÉA


Avec ma mère.

LYS


Son char es-tu pas mal magané?

ANDRÉA


Un petit peu oui. Mais de toute façon, elle veut s’en acheter un autre; ça fait qu’elle va pas déclarer l’accident à ses assurances, sinon ils vont lui charger plus cher. Une chance que c’était une jeune autruche, sinon, le devant de l’auto serait « scrap », puis on serait peut-être mortes nous autres aussi.

LYS


Tellement!

ANDRÉA


Quand j’ai vu qu’elle était couchée sur le bord du chemin puis qu’elle bougeait plus, j’ai voulu qu’on s’arrête pour lui dire qu’on était vraiment désolées; qu’on avait pas voulu la tuer. J’aurai pu lui faire une petite cérémonie de funérailles ou l’abriller avec des branches de sapin. Mais ma mère a pas voulu s’arrêter, elle était trop pressée. Elle a jamais le temps pour des affaires importantes de même. Je suis sûre que si ma mère avait roulé moins vite, l’autruche serait pas morte.

LYS


Pis, monsieur Bergeron lui ?

ANDRÉA


Il le sait pas qu’on l’a frappée. De toute façon, il la retrouvera jamais son autruche parce que… je l’ai avec moi.

LYS


Hein ? « What the fuck » ?

ANDRÉA


Je suis allée la chercher hier soir avec mon grand-père. Il l’a faite cuire aujourd’hui avec du bacon puis des épices StHubert.

LYS


Y’é donc ben « nice » ton grand-père!

ANDRÉA


Attends, je reviens.

Andréa sort de la tente et reviens avec une boîte contenant une petite rôtissoire, une bougie, un carnet et un petit bâton en Y.

ANDRÉA


Mon grand-père a un ami shaman Anishnabe qui m’a dit comment faire des excuses à un animal qu’on a tué sans faire exprès. On commence par lui demander pardon, puis après, on en mange un petit peu pour créer un lien sacré entre l’animal puis nous autres.

LYS


Comme la poule au Mexique.

ANDRÉA


Je lui ai demandé de m’écrire les paroles en algonquin. Puis tu sais quoi ?

LYS


Quoi ?

ANDRÉA


Il m’a donné ça aussi. (Elle sort le petit bâton en forme de Y).

LYS


Oh « my god » ! C’est donc ben « wack » !

ANDRÉA


C’est « bizz » hein ?

LYS


C’est tu grave si moi j’ai pas de lien direct avec l’autruche ?

ANDRÉA


Je pense que c’est correct vu que tu as un lien direct avec moi.

LYS


Ça doit.

ANDRÉA,allumant une bougie et lisant le texte


Qui ga gwaie tché mine. Qui djé cha wais né mé jai anne. Qui tjé pénaischige. Aja dâch kika néjaimiine.

LYS


Ça veut dire quoi ?

ANDRÉA


Ça veut dire : Je te demande pardon grand oiseau. Aujourd’hui, un lien sacré nous unit.

Andréa offre un morceau d’autruche à Lys et elle en prend un également. Elles mangent.

Coup de tonnerre.

LYS


C’est vraiment bon de l’autruche.

ANDRÉA


Oui. Surtout avec les épices à poulet barbecue. (Un temps). Je me disais que, tant qu’à faire, serais-tu « down » pour qu’on fasse un éloge funèbre à tous les Juifs qui sont morts dans les camps de concentration ?

LYS


Ben oui. Pourquoi pas ?

ANDRÉA


J’ai écrit un petit poème pour eux autres. Elle lit et invite Lys à lire le texte avec elle. Elles tiennent le bâton en forme de Y.

Coup de tonnerre.

ANDRÉA et LYS


Pour les Juifs tués par les nazis :

À tous les Juifs de la terre


Morts pendant la deuxième guerre


Personne ne peut oublier


Ceux qui vous ont persécutés


On se souvient de votre histoire


Vous êtes gravés dans nos mémoires

LYS


T’es donc ben « hot » ! Tu devrais écrire un texte pour le spectacle de fin d’année.

ANDRÉA


Justement, je voulais t’en parler. J’ai commencé à écrire une chanson. C’est un rap. J’aimerais ça que tu le fasses avec moi.

LYS


Sérieux ?

Coup de tonnerre et pluie.

ANDRÉA


Je pense qu’on dormira pas dans la tente à soir. On va aller se pratiquer dans ma chambre.

Elles sortent en courant.