« Je suis en total désaccord avec vous, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez l’exprimer. »
− Evelyn Beatrice Hall qui, dans un livre, The Friends of Voltaire, publié en 1906 sous le pseudonyme de S. G. Tallentyre, utilise la célèbre formule pour résumer la pensée de Voltaire
Entre cet appel enflammé à la liberté d’opinion et la démocratie numérique qui en est à ses balbutiements, plus de trois siècles ont passé.
Nous venons de vivre une élection fédérale marquée par de nombreux débats entre les candidats. Tantôt thématiques, nationaux ou locaux, les débats représenteraient la forme la plus sophistiquée d’expression démocratique.
J’ai eu le plaisir et l’insigne honneur d’animer le débat sur l’environnement organisé par le Regroupement d’éducation populaire de l’Abitibi-Témiscamingue (REPAT) et le Conseil régional de l’environnement de l’Abitibi-Témiscamingue (CREAT) le 2 octobre dernier. En fait, ce n’était pas un débat, juste une occasion pour les citoyens d’entendre ce que les six candidats dans Abitibi-Témiscamingue et leur parti avaient dans le coffre sur l’enjeu capital de l’environnement. Pas eu de confrontation, pas de joute oratoire pas de droit de réplique… et pas la cacophonie affligeante qui caractérise usuellement ce genre de rencontres. Seulement du temps consacré à entendre les lignes de parti, ou l’écho du vide dans certains cas.
Certains considèrent la formule comme bien plate, les médias traditionnels notamment, eux qui comptent les coups portés à l’autre pugiliste et les K.-O. techniques. Ça prend un gagnant, comprends-tu!
Bien sûr que je comprends cette attente. Nous présumons que le meilleur débatteur mérite d’être élu. Vrai? Pas sûr.
En science, il existe un concept appelé le nombre magique de Dunbar. En gros, cette approche stipule que 150 personnes peuvent former une communauté d’intérêts idéale, car c’est ce que le cerveau humain peut gérer et reconnaître comme réseau. Des preuves?
Naturellement, les communautés de chasseurs-cueilleurs les plus viables, les compagnies militaires comptent entre 150 et 200 individus.
Saviez-vous d’ailleurs que Barack Obama avait lancé, en 2011, un système de pétitions en ligne nommé « We the people » [« Nous le peuple »] qui s’amorçait à partir d’un nombre de 150 signataires? Pas un hasard : l’entourage d’Obama présumait que le chiffre magique de Dunbar était un déclencheur tout à fait valable pour mettre une idée en ligne.
Mais alors, comment se fait-il que certains courants d’opinions finissent par réunir plus de 150 personnes? La révolution russe d’octobre 1917, le printemps étudiant de 2012 au Québec ont réuni plus que trois autobus scolaires. Selon les émules de Dunbar, l’explication tiendrait du fait que le langage permet d’élargir l’assise d’un mouvement populaire. Un effet de levier, en somme.
C’est peut-être pourquoi les débats oratoires entre politiciens sont si populaires en tant que moyens pour rassembler en masse les électeurs autour d’un programme. Mais franchement, n’avez-vous pas l’impression que les débats politiques ne font pas une grande place à l’opinion citoyenne? Que finalement, les questions du public dans les débats ont l’air plus anecdotiques, voire risibles? Que les représentants des médias seraient les seuls à soumettre les candidats à La Question?
Un peu à l’instar de l’initiative de démocratie directe « We the people », pourrions-nous améliorer notre emprise réelle sur les programmes politiques?
Il existe des logiciels de démocratie directe comme LiquidFeedback. On y retrouve bien sûr toutes les fonctionnalités pour mettre sur pied une initiative citoyenne (incluant des cartes géographiques permettant des projets d’urbanisme), mais on peut même choisir le ou les citoyens qui porteront nos demandes auprès du gouvernement concerné.
Il y a bien sûr des risques à soumettre nos débats démocratiques à des plateformes numériques. Le chercheur de réputation internationale Evgeny Morozov nous met en garde contre les géants du Net qui nous entretiendraient dans une servitude en récupérant tous les projets et données, même les plus humanistes, que nous répandons sur le Web.
Toutefois, je garde à l’esprit que nous devrions faire l’essai dans notre région d’un de ces outils de démocratie directe numérique. Les prochains débats politiques y gagneraient peut-être en pertinence parce que désormais axés sur les enjeux citoyens de l’Abitibi-Témiscamingue.
Au fait, ne cherchez plus en ligne l’initiative « We the people ». Elle a été éliminée du site whitehouse.gov en janvier 2019 par Donald Trump. Je dis ça comme ça.