Un million de bouteilles en plastique sont achetées chaque minute dans le monde. Selon une étude scientifique diffusée par The Guardian le 8 avril dernier, les bouteilles en plastique constituent désormais la plus grande menace envers les cours d’eau européens. Ici, Recyc-Québec estime qu’un milliard de bouteilles sont consommées chaque année. Pire, la grande majorité de celles-ci évitent toujours la voie du recyclage.

Alice-Anne Simard, directrice générale d’Eau Secours, une organisation nationale vouée à la protection et à la gestion responsable de l’eau, se console en constatant que « 70 % des cégeps et des universités de notre province ont banni la vente de bouteille d’eau sur leurs campus ». Une voie qu’a récemment empruntée la métropole, inspirée par cinq autres villes de la province s’étant vu remettre le titre de communautés bleues.

En marge de ce réveil environnemental, la MRC d’Abitibi ratifiait, le 20 juin 2018, la Charte de l’eau. Une initiative qui, bien que louable dans son ensemble, comprend une série de dispositions visant à « maximiser les retombées […] économiques de l’exploitation industrielle de l’eau », sans toutefois faire mention des conséquences environnementales dramatiques engendrées par les bouteilles d’eau en plastique.

La tolérance de notre région à ce fléau planétaire ne date pas d’hier. Marc Bouchard, ancien résidant d’Amos, rassemble depuis 23 ans d’innombrables documents faisant état de l’intérêt marqué de nos institutions locales envers l’industrie de l’eau embouteillée. Dès 2004, un rapport auquel ont collaboré la Ville d’Amos et la Société de l’or bleu (ancêtre de la Société de l’eau souterraine Abitibi-Témiscamingue) qualifiait d’« opportunité » la « croissance mondiale de la demande pour l’eau embouteillée » et l’arrivée d’« une entreprise d’embouteillage qui assure[rait] une promotion de l’eau des eskers ». Au chapitre des « menaces », aucune trace des impacts écologiques directement occasionnés par la propagation des bouteilles. Y figurent pourtant les « redevances que devront payer les entreprises qui utiliseront l’eau »…

Quinze ans plus tard, notre fière région est devenue l’hôte asservi de quatre compagnies qui embouteillent notre richesse d’une valeur inestimable (Eska, L’Or bleu, Ech2o Water, Onibi).

Et qu’est-ce qu’on en retire? Des redevances de 0,00007 $ par litre. « Des peanuts comparativement aux profits incroyables », juge, avec raison, la directrice générale d’Eau Secours. Et c’est sans compter les emplois perdus dans la région depuis la récente centralisation à Montréal d’une grande partie de la production d’Eska.

Poussé à son paroxysme, le paradoxe de notre relation avec cette industrie aberrante révèle qu’un consommateur paiera sa bouteille « de 1000 à 1500 fois plus cher qu’un verre d’eau coulant du robinet », toujours selon Eau Secours.

Pouvez-vous me dire qui, dans votre entourage, a les moyens de s’acheter, à 10 000 $, un sandwich qui en vaut réellement 7 $?

Pratiquement tout le monde, d’ici au sud de la province, est en mesure d’accéder à un réseau public d’aqueduc offrant une eau de qualité égale, voire meilleure, à celle que les embouteilleuses s’efforcent de nous présenter comme étant « pure ».

Pourquoi donc s’obstiner à vendre la ressource à des gens qui n’en n’ont aucunement besoin plutôt que de la donner à des populations qui en nécessitent vitalement? Là, on aurait de quoi être fier de nos eskers pis vivre éthiquement d’amour et d’eau pure.

À Saint-Mathieu-d’Harricana, village hébergeant l’entreprise Eska, la population est aux premières loges pour constater l’absurdité écologique. Il faut dire que l’usine fournit au rabais près de 60 000 bouteilles de 1,5 litre par année à de nombreux citoyens qui n’ont déplorablement pas accès à de l’eau potable dans leurs habitations. Chaque mois, ils sont conviés à faire le plein de bouteilles en plastique au garage municipal. Gilles Gagnon, qui habite la municipalité depuis l’implantation de la compagnie, n’adhère pas à ce manège. « Les gens se rendent compte qu’ils finissent par remplir leurs poubelles bleues avec leurs bouteilles d’eau d’Eska. Il y en a qui commencent à se poser des questions, à dire que ça n’a pas d’allure », indique-t-il.

De plus en plus témoin, comme tout le monde, des scènes d’épouvante qui nous proviennent des sept mers du globe, ce n’est que très récemment que j’ai amorcé ma réflexion sur les enjeux soulevés par l’insatiable soif de profits de ces fanatiques du plastique qui sévissent au cœur de notre royaume nordique. Tout comme Eau Secours, j’en viens à la conclusion qu’il est impératif de lancer sans retard un réel débat public sur le fléau environnemental provoqué par ces entreprises.

Je crois que la réponse de notre région doit passer par une discussion locale et inclusive. Un échange libre de toute tentative d’influence de l’industrie, qui s’est déjà suffisamment abreuvée de notre mendicité abjecte.

Éradiquer les bouteilles en plastique de nos paysages nous demandera du courage et du respect.

Du respect, mais pas seulement envers nos élus d’aujourd’hui et de naguère qui ont permis et qui tolèrent toujours cette catastrophe ambulante de se répandre.

Du respect, d’abord et avant tout envers nos générations futures et envers la grande fragilité de nos écosystèmes, locaux et planétaires.


Auteur/trice