Les médias, et plus particulièrement les médias visuels, jouent un rôle central dans l’articulation des fantasmes propres à une culture donnée.

 

Dans le contexte culturel qui est le nôtre, où les tabous sont explorés de façon soutenue dans l’espace public, il semble logique de mettre en doute les fantasmes culturels transmis par les médias visuels. Parmi ces fantasmes, un des plus problématiques demeure bien entendu celui de la jeune fille hypersexualisée. Ce phénomène est régulièrement critiqué, tant dans les médias à grand tirage que par des réflexions savantes et universitaires. Par contre, les critiques dirigées à l’endroit des images de jeunes filles hypersexualisées tendent à adopter une approche iconophobe, à travers laquelle les images elles-mêmes sont critiquées – à juste titre, certes, mais au détriment d’une attention qui devrait également être accordée à la question du désir qui motive l’apparition de telles images. 

En somme, lorsque nous interrogeons la nature parfois discutable des fantasmes transmis par les médias visuels, il serait particulièrement pertinent d’intégrer un questionnement beaucoup plus troublant : qu’est-ce qui produit ce fantasme?

 

Le fantasme nous procure un accès imaginaire à l’objet du désir. La féministe britannique Elizabeth Cowie résume cette dynamique du fantasme ainsi : « le fantasme en est venu à signifier le fait de rendre visible, de rendre disponible, ce qui n’est pas présent, ce qui ne peut jamais être directement vu et appréhendé. » Dans le fantasme, on peut donc dire que l’objet du désir est mis en scène, à l’exception près que c’est une imagede l’objet de désir qui est mise en scène. Dans une culture visuelle où les tabous sont explorés de façon croissante, on peut voir une panoplie d’images qui renvoient à des désirs fortement prohibés — dans le cas de l’hypersexualisation des jeunes filles, ce sont les tabous de l’inceste et de la pédophilie qui se terrent derrière des images au caractère fantasmatique. Alors que le cinéma met souvent en scène de tels fantasmes sans les mettre en doute, il peut également permettre la remise en question notre rapport au fantasme. Comme l’affirme le philosophe Slavoj Žižek, « le cinéma ne nous donne pas ce que nous désirons; il nous dit comment désirer ». Il en va de même de l’ensemble des médias et des discours qu’ils propagent.

 

Une polémique récente entourant une publication Snapchat effectuée par un bar d’effeuilleuses de Terrebonne se révèle très éloquente à ce sujet. En effet, dans la publication en question, le bar O’Gascon partageait la liste des danseuses y travaillant, tout en écrivant « choisi [sic] la fugueuse de ton choix ». Cette publication a immédiatement suscité de vives réactions, et pour cause! Avec un tel propos, le bar dissémine l’idée – certes fausse – que les danseuses y travaillant sont des adolescentes. Parallèlement, on banalise de façon flagrante le côté sombre de l’industrie du sexe; on pourrait même dire qu’une telle publication cautionne une relation illicite entre un client et une jeune fille mineure. On produit par le fait même un fantasme fort problématique puisque derrière l’image fantasmatique d’une effeuilleuse prohibée se terre une réalité encore plus percutante et problématique : la fugue d’adolescentes est une réalité malheureusement beaucoup trop présente dans notre société, et il est d’autant plus dramatique de constater que les fugueuses ont tendance à se retrouver dans les dédales les plus obscurs de l’industrie du sexe. Il y a donc un côté extrêmement épineux dans le discours tenu par ce bar : derrière le fantasme de la jeune fugueuse, on retrouve une réalité atterrante où de jeunes filles sont victimes d’une situation abjecte. Et même si la direction du bar en question s’est excusée publiquement depuis, le fait demeure : on vend du fantasme (entre autres par les habits d’écolières ou de cheerleader si populaires dans ces milieux), et par le fait même, on invite le client potentiel à explorer un tabou défendu.

 

On retrouve là un paradoxe inquiétant : comment une société fondée sur des interdits (nommément, l’inceste et la pédophilie) arrive-t-elle à produire ce genre de discours? Comment peut-on s’indigner devant les cas médiatisés d’abus, de pédophilie et d’inceste tout en acceptant l’existence de sous-vêtements féminins arborant la mention « daddy’s little girl », par exemple? Certaines fictions médiatiques proposent des pistes intéressantes de réponse à ces questions. C’est le cas du film American Beauty [Beauté américaine], sorti en 1999. Ce film révèle l’aspect construit et factice du fantasme de la jeune fille hypersexualisée, et illustre bien le fonctionnement du fantasme dans la culture visuelle. Le lecteur intéressé par cette question pourrait également se tourner vers le cinéma du réalisateur arméno-canadien Atom Egoyan (Exotica [1994], Chloe [2009]). 

 

En outre, si les médias visuels participent à propager les fantasmes culturels, il reste qu’ils participent parfois à les remettre en question. 

Cette remise en question est d’ailleurs essentielle.


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