La dramaturgie est un genre littéraire qui remonte à loin. À travers les époques, elle a connu de nombreuses transformations, mais a toujours trouvé la façon de s’adapter aux nouveaux publics, aux nouveaux styles, aux nouveaux médias. Tout comme l’envie des gens de voir vivre leurs histoires, elle ne s’est jamais éteinte.
En parent pauvre de l’écriture, la dramaturgie compte aujourd’hui peu d’auteurs puisque les livres s’écoulent en exemplaires limités. Si les pièces-culte sont lues et analysées dans les cours de littérature, la majorité des écrits ne trouvent leur auditoire qu’en étant mis en scène et joués devant public, ce qui ne rend accessible qu’une faible proportion des textes produits.
Ainsi, dans une région comme l’Abitibi-Témiscamingue qui compte peu d’auteurs et dont le public reste limité, la production d’écrits dramaturgiques est quasi inexistante.
Le projet Ô Landing vient remettre en question cet état de fait en proposant une formule qui, ancrée dans le numérique et la modernité, revisite les modes de conception et de diffusion de la dramaturgie. Comment arriver à nourrir un imaginaire dramaturgique en région? Et surtout, est-ce possible d’affranchir le genre de sa prison scénographique?
L’utilisation du web pour créer et diffuser
« Alex (Alexandre Castonguay) et Nicolas (Lauzon) ramassent des mots, moi je ramasse du data », explique Mathieu Gagnon, concepteur numérique sur le projet. « Pour ça, on utilise principalement le site web, mais aussi Facebook et Instagram. On organise également des rendez-vous physiques qui combinent lectures publiques et ateliers d’écriture. »
Jusqu’à la fin de l’été, le public est invité à venir nourrir le récit en se rendant sur olanding.ca et en répondant aux questions proposées. Jusqu’à maintenant, ce sont plus de 225 réponses qui ont été fournies anonymement par des gens provenant des 4 coins de la région.
Mathieu compile les écrits reçus, les transmet aux auteurs qui repensent et réorganisent les fragments en un tout cohérent, sous l’œil avisé de Joséane Toulouse, directrice littéraire. « On veut construire une écriture dramaturgique à partir du territoire et à partir des gens qui l’habitent, explique Alexandre. En forçant l’écriture d’un spectacle dans un lieu où il n’y a pas de dramaturge, on veut voir comment le territoire peut influencer le texte. »
L’histoire
Malgré sa démarche d’écriture ouverte, le récit de Ô Landing reste bien centré : un village au bord de la fermeture, trois êtres qui se retrouvent sur un quai après plusieurs années, la confrontation de leurs parcours, de leurs visions, de leurs choix.
« Chaque personnage est lié à une thématique. Et ils se retrouvent tous sur le quai, à la croisée des chemins », explique Mathieu.
En effet, le quai, ou landing, est l’image centrale du récit. « C’est pas tout à fait l’eau, c’est pas non plus la terre. C’est un lieu de transition, un lieu d’où tu peux partir, d’où t’arrives. C’est aussi un lieu commun aux Abitibiens », note Alexandre.
L’idée
D’abord inspirée par l’œuvre Transfiguration de Manon Pelletier (installation juchée à l’entrée du Petit Théâtre présentant une suite de corps dont les visages sont remplacés par des œuvres refusées des galeries), la démarche de Ô Landing prend racine dans la multiplicité, la transformation et la création de sens.
Alexandre raconte l’origine du concept : « J’ai approché Nicolas et je lui ai demandé si lui aussi avait des poèmes qui avaient été refusés par ses éditeurs. On a pogné ses œuvres orphelines, on a interrogé les œuvres de Manon et on s’est mis à établir un dialogue entre les deux. Ça a donné une espèce de motte. On a laissé le reste d’où ça venait et on s’est concentré sur la motte. »
Et cette motte, elle en avait long à dire. « Il y a des concepts. La nuit, le jour. Le blanc, le noir. L’homme, la femme. Ce qui sépare les concepts, ce n’est pas un mur étanche. C’est poreux. Il a des espaces entre les deux. C’est sur cet espace-là qu’on essaie de se concentrer. Entre l’homme et la femme, entre la ville et la région… Ce lieu-là, on l’a rapidement identifié comme un quai, un landing », conclut Alexandre
La finalité
Si Ô Landing semble prendre racine dans le territoire et la tradition, sa démarche reste résolument novatrice. « Pour moi, le site web, c’est comme notre quai. C’est là que tout le monde se rencontre et vient mettre ses idées », explique Alexandre.
C’est aussi là que réside la finalité du projet. En raison de sa nature, Ô Landing ne sera pas éditée. La pièce sera mise en ligne gratuitement afin d’être redonnée au public qui l’a écrite.
Et quand pourra-t-on la voir jouée? « Comme je dis souvent, Ô Landing va être jouée la même année que le Canadien va gagner la Coupe », répond Alexandre, amusé.
Décidément, ce sera toute une année.