Des œuvres de l’artiste de renommée internationale Jana Sterbak, dont certaines pièces n’ont encore jamais été vue en Amérique du Nord, s’installeront au Musée d’art de Rouyn-Noranda en juin 2018 pour toute la prochaine période estivale. La venue de cette idéatrice aux œuvres parfois colossales et déroutantes illustre bien l’audace du directeur du musée Jean-Jacques Lachapelle.

« Lorsque j’ai dit que je voulais inviter Jana à Rouyn, on m’a répondu qu’il n’y avait pas beaucoup de chances… », commence le directeur du musée avec satisfaction, prouvant qu’il est possible d’attirer des artistes d’envergure internationale même en région éloignée.

À ses côtés, Mme Sterbak, venue en repérage pour évaluer les lieux et les pièces qui prendront place dans le musée, a esquissé un sourire, l’air de dire « il suffisait d’oser le demander ».

Dans le catalogue de l’artiste, une œuvre est déjà toute choisie pour l’Abitibi, mais elle devra effectuer un long périple avant d’arriver. « Planétarium », un ensemble de grandes billes de verr,  fera le voyage de l’Europe pour être présentée ici en grande première nord-américaine.

« Vous avez l’expérience du ciel, ici en Abitibi, avec les aurores boréales », résume Jana Sterbak en justification à cette présence.

Organiser le transport d’une œuvre comme « Planétarium » relève d’une certaine complexité. Acquise par un musée européen, le transport a nécessité une imposante logistique, des assurances et même la conception de caissons spécialement conçus pour éviter tout bris durant ce long voyage. Là encore, Jean-Jacques Lachapelle a su tirer les ficelles nécessaires pour permettre ce déplacement temporaire.

« Vous avez là vraiment un quelqu’un exceptionnel », a souligné Mme Sterbak.

Une artiste imposante

En marchant sur la rue Principale de Rouyn, Jana Sterbak affiche un naturel désarmant, semblant humer ce qu’il y a dans l’air comme pour capter une possible inspiration. Elle découvre une région qu’elle n’avait jusque là jamais foulée, mais avoue avoir « toujours aimé la chanson de Raoûl Duguay, La bitt à Tibi.

Sa feuille de route professionnelle se décline en plusieurs actes : en 2012 elle a reçu le prix du Gouverneur général, en 2003, elle a représenté le Canada pour la Biennale de Venise et a remporté le prix Ozias-Leduc en 1995, en plus de participer à moult expositions et reconnaissances.

Plusieurs de ses œuvres ont été acquises par des musées. On en retrouve en France, en Espagne au musée d’art de Barcelone, en Australie, chez nous au Québec, en Ontario et à Vancouver de même qu’aux États-Unis, dans les États de la Californie et du Minnesota.

Née à Prague en 1955, elle a émigré au Canada et complété ses études en beaux-arts à Montréal. En 1987, la conception d’une robe de viande crue avait fait scandale et fait abondamment parler. Elle revient d’ailleurs sur cette idée, à première vue, saugrenue.

« Travailler avec une artiste aussi farfelue que moi, ce n’est pas évident », confie-t-elle en un éclat de rire, consciente des défis techniques et matériels de plusieurs de ses projets imaginés.

Mais résumer à cette seule œuvre le travail de Jana Sterbak serait bien réducteur, comme l’explique M. Lachapelle.

« C’est une artiste dont la génération a redéfini l’art au Canada et chez qui la performance est au cœur de la création. Les objets sont ainsi des témoins de cette performance, des artéfacts », insiste Jean-Jacques Lachapelle.

Plusieurs idées de Jana Sterbak n’ont pas encore été réalisées. De nombreux dessins sont toujours figés dans les cartons en attendant une transformation ou une incarnation matérielle. Certains de ces dessins seront exposés à Rouyn-Noranda l’été prochain.

Le dérangement créatif

Le processus créatif, Jana Sterbak le métaphorise comme une huître perturbée par un grain de sable et qui l’enrobe de nacre pour former une perle.

« Il y a un dérangement quelque part. Un dérangement psychique, positif ou négatif. C’est quelque chose qui vient et qui génère des questions », affirme-t-elle.

Et contrairement à ce qui a été abondamment écrit à son sujet, Mme Sterbak n’est pas fascinée par le corps humain.

« Notre corps humain, sa mécanique, ne m’intéresse pas si ce n’est pas relié à autre chose. Ce qui m’intéresse c’est plutôt comment on se démène dans la vie, nos désirs, nos ambitions, les contraintes que l’on a », assume l’artiste.

Est-ce que le passage de l’artiste en Abitibi-Témiscamingue causera une onde de dérangement créatif? Jana Sterbak semble réceptive.

« Je n’aime pas les palmiers, je n’aime pas le Sud et puis, j’ai un projet que j’aimerais réaliser au Nord », commence-t-elle, avec une aura de mystère.

Elle qui a travaillé avec de nombreuses matières pour ses créations, l’univers minier n’est pas dépourvu d’intérêt.

« J’ai déjà travaillé l’or et je suis très intéressée par les métaux », avance-t-elle.

Souhaitons-lui une expérience dérangeante et inspirante à souhait.


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.