À l’époque du règne de Dieu, on n’avait pas trop besoin de se chercher des poux. Il était la cause de tout : la beauté de la fille du fermier, la grippe espagnole, le goût du vin, la crampe dans le dos, etc. Tout cela dépendait de « la volonté divine ». Les temps ont changé. Désormais, le Québécois moyen croit qu’il est maître de son propre destin, que Dieu n’a rien à voir là-dedans. Malgré la lourde perte du congé du dimanche, la majorité se réjouit du déclin du catholicisme. Plusieurs disent que c’est tant mieux, qu’il n’y avait rien de bon là-dedans… C’est surtout l’Église que nous blâmions et blâmons encore au Québec : à la fin, elle prenait trop de place. Ce n’est pas faux, on la retrouvait même jusque dans la chambre à coucher. Mais, comment (diable) ce revirement est-il survenu?
L’oiseau de la science
Après deux mille ans de règne, on ne tourne pas le dos à une si longue histoire du jour au lendemain. Chez nous, c’est certainement lors de la Révolution tranquille que l’Église à avoir du plomb dans l’aile. Toutefois, il faut se souvenir que des idées nouvelles avaient d’abord ébranlé l’institution. Une révolution scientifique avait eu lieu au siècle précédent. À l’époque, plusieurs penseurs européens baignaient déjà dans des idées favorables à la théorie de l’évolution. Charles Darwin a fini de convaincre les sceptiques avec un argumentaire très bien tissé, simple et efficace. La publication de L’Origine des espèces arrivait à point. Un ouvrage solide. Pour tout dire, il a involontairement bouleversé l’ordre du monde avec une histoire de pigeon.
C’est que la noblesse de l’époque s’adonnait alors à l’élevage de ces désormais peu nobles oiseaux. L’éleveur favorisait des traits biologiques qu’il jugeait agréables, tels qu’un gros buste et un plumage coloré, grâce à la reproduction. Les géniteurs, observe Darwin, tendent à transmettre leurs traits à leur descendance. Tout le monde était d’accord sur le premier chapitre de l’ouvrage. Tous pratiquaient, sans le savoir, la sélection génétique et pouvaient ainsi confirmer cette tendance. Ne restait plus qu’à continuer : la nature, accidentellement, fait aussi la même chose. Elle exerce une pression de sélection sur les caractères, les animaux changent. Plusieurs étaient d’accord, c’est logique. C’est ainsi que, lentement, l’air de rien, le pigeon a eu raison de la création. L’auteur ne pouvait se douter que la publication de l’ouvrage allait frapper si fort.
Des plumes en moins
La révolution scientifique du XIXe siècle a donc fourni des arguments empiriques solides pour expliquer des phénomènes naturels observables. Parallèlement, ces preuves sont aussi venues ébranler la croyance en Dieu puisqu’elles venaient contredire certaines interprétations de la Bible, surtout celles concernant la création. Bien sûr, les lectures les plus radicales ne laissaient place à aucune autre possibilité, comme dans tout autre dogme. Seuls les plus modérés ont su tolérer l’idée. Après tout, l’intention première n’était pas d’opposer la science à la foi. Pourtant, c’est l’impression que nous en avons aujourd’hui, que l’avènement de la science signifie forcément la mort de Dieu.
Certes, nous avons eu de bonnes raisons de rejeter l’Église, nous, les athéistes modernes, mais force est de constater que quelque chose s’est perdu. Nous ne pouvons prétendre que l’anéantissement de la foi a donné naissance à un humanisme grandiose. Puis, il faut dire qu’Il était aussi un bon camarade, Dieu : toujours là! Maintenant, nous sommes embêtés. Seuls, surtout. Le christianisme s’adressait à l’individu, il fournissait des réponses à des questions fondamentales : où vas-tu, d’où viens-tu? Depuis, les autres possibilités sont aussi lointaines qu’angoissantes. Nous sommes des primates qui allons disparaître. Avalés par le temps qui passe. La matière qui te compose sera dispersée, puis recyclée par le cosmos pour une infinité de temps, de manières infinies, dans le vide intersidéral. Tu es la somme d’un code génétique. Un amas d’atomes. Quelle morale? Tu proviens du néant, tu retourneras au néant. Voilà ce que nous dit la science.
On ne trouve plus de sens, moi le premier.
Si bien que depuis la lecture de Darwin, lorsque je vois un pigeon s’envoler, je ne peux m’empêcher de me demander si ce n’est pas Dieu qui quitte les hommes.