Les étés de mon enfance étaient constitués de voyage dans la Gaspésie natale de mes parents, des feux de camp en écoutant Week-end Rock and roll avec Gaétan Bacon à CKVL et, surtout, de la Dodge Tradesman 1975 où jouait la meilleure sélection de country québécois : André Breton, Marcel Martel et Paul Brunelle (mon préféré). Le tout sur cassette 8 pistes. Rien de moins !

 

Nous étions adeptes des festivals country. L’ambiance était parfaite, si simple. La musique en sourdine sortait du chapiteau, les danseurs en ligne s’exécutaient machinalement. Les chanteuses pas connues s’égosillaient. Avec un peu de chance, il y avait un match de baseball des 4 chevaliers O’Keefe. Je me rappelle de mon petit chip Yum Yum et, bizarrement, de l’humour salé de Gil Tibo. Aucune de ses blagues ne peut être racontée aujourd’hui. Et tant mieux.

 

Il y avait aussi la camaraderie des festivaliers que nous croisions semaine après semaine. Pas difficile de faire la fête, on dormait dans le camper. Il y a eu ensuite le grunge, l’amertume et la moustache molle… Ça synthétise bien les années 90.

 

Dans les dernières années, j’ai fait beaucoup de route avec ma bagnole Charlotte II. Et j’ai retrouvé ma passion pour la culture country à grands coups d’éclat. Je suis allé voir le Grand Ole Opry à Nashville : la grande messe de la musique country depuis 90 ans. Les légendes s’y sont succédé et j’ai eu la chance de voir Lisa Marie Presley comme invitée surprise. Il y a eu Sun Records à Memphis, une institution du rock and roll. Ensuite Dallas et le Texas, paradis du cowboy, où j’ai découvert les rodéos. Une fois revenu à la maison, je me suis bien rendu compte que je n’avais pas besoin de faire 3000 kilomètres pour retrouver ça. Le circuit québécois des festivals country est rempli d’événement aux quatre coins de la province, et notre région ne laisse pas sa place.

 

En juin, le Festival de musique country de l’Abitibi-Témiscamingue lance le bal. En août, le Festival Western de Guigues et le Festival Western de Malartic rassasient mon appétit. Entre-temps, le Festival équestre de La Sarre et le Rodéo du camion de Notre-Dame-du-Nord me donnent ma dose de poussière et de fumée. Il se peut que j’en oublie.

 

Mais c’est à Guigues que mon attention a été attirée par 2500 livres de carrosserie : une Dodge Tradesman bleue comme celle de mon père. Devant les portes latérales, deux chaises de camping occupées par un couple de retraités, canettes de 50 à la main : Guy et Nicole.

 

Guy est le genre d’homme avec de grosses mains usées de travailleur qui ne dit pas un mot plus fort que l’autre. « Nous avions la vannette depuis quelques années et nous l’avions aménagée pour ce projet de vie. Aussitôt que nous avons pris notre retraite, nous avons vendu notre maison de St-Rémi de Napierville. L’argent de la vente comble amplement nos besoins pour les 30 prochaines années. »

 

Ce nouveau rythme de vie convient totalement à Nicole, une dame à l’âme hippie. « L’Amérique est notre maison. De mai à octobre, nous faisons la tournée des festivals avec d’autres caravaniers. Certains sont des retraités comme nous, d’autres font le circuit seulement le week-end. La vie est bonne sur la route. On peut faire une route 40 fois, mais ce n’est jamais le même chemin. Et quand je lis, je voyage deux fois plutôt qu’une. C’est un bon bargain. »

 

« Quand le froid revient à la fin octobre, nous partons au sud des États-Unis. L’hiver dernier, nous l’avons passé dans le désert de l’Arizona. Il y a deux ans, c’était San Antonio au Texas. On a de drôles de préjugés sur cet état, mais les gens y sont chaleureux. Donc tant et aussi longtemps que la santé sera là, il y aura du millage », philosophe Guy.

 

Je me suis demandé ce qu’il en était de l’intimité. « Quand ça fait 40 ans que tu vis avec la même personne, tu as senti toutes ses odeurs », ricane Nicole. « Des fois, un de nous deux a les bleus. Alors, une petite marche de santé refroidit les esprits. De toute façon, il n’y a pas de relation plus sincère qu’avec une personne avec qui tu voyages. »

 

Réalisant que leur véhicule me rappelle des souvenirs, le couple m’offre d’entrer pour une courte visite. Tout y est, la base de lit qui se monte en table, le poêl-évier-ateur (poêle – évier – réfrigérateur) et le lecteur Delco 8 pistes avec une cassette de Robin Barriault, jeune accordéoniste de Baie-des-Capucins.

 

Guy me demande si je veux m’installer derrière le volant pour avoir le feeling. Quel honneur ! Bien assis sur le siège de similicuir, j’ai eu un frisson, une vision rétrofuturiste.

 

Je suis bien loin de la retraite et je sais déjà comment je vais passer mon temps. \


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