Ma sœur, qui vit à Port-au-Prince et à qui j’ai envoyé une photo de ma voiture ensevelie sous la neige après la dernière tempête, a cru que quelqu’un m’avait fait une mauvaise blague. Elle m’a demandé s’il s’agissait d’un gag ou si je me payais sa tête. À l’autre, qui passait son premier hiver en Abitibi, j’ai fait croire que les abris d’auto étaient la dernière mode pour profiter pleinement des joies de l’hiver. Je n’oublierai jamais sa surprise silencieuse qu’on aurait pu prendre pour de l’incrédulité. Mais c’était de l’admiration. Ou plus précisément un choc admiratif.
C’est que l’hiver québécois est le seul que je connaisse avec ses caprices, ses bardes, son imaginaire ; bref, sa mythologie. Il faut toujours un poète pour les grands combats, les grandes injustices, les grandes luttes, les grandes passions, les grandes causes. Et c’est le dire du poète qui leur donne leur grandeur, qui en fait des mythologies. Il m’est impossible de penser à la neige ou de la voir sans l’associer à Nelligan. En fait, ce n’est pas vraiment à Nelligan que je l’associe, mais à sa voix plaintive. La sentez-vous, l’affliction du poète planté devant sa fenêtre, seul et triste comme une porte de prison? L’entendez-vous, cette détresse mélancolique qui sautille dans le gosier du jeune poète?
Hier matin, en me réveillant, j’ai regardé par la fenêtre. La neige brillait, étalant ses jupons blancs le long de ma rue. Des flocons piaffaient sur ma vitre. J’étais envoûté. Une petite voix s’est mise à danser dans ma tête. Elle s’est rapprochée de moi jusqu’à me frôler. Mais j’étais trop obnubilé par le spectacle de la neige pour m’en détourner. Je pensais à Nelligan. Je l’imaginais descendant un escalier, puis tirant des volets pour découvrir un horizon blanc à perte de vue. Comme je pensais à lui, il a posé une main sur mon épaule et a murmuré dans un souffle : « Ah! comme la neige a neigé! » Je vous raconterai cette rencontre une autre fois, mais le monde ne sera déjà plus le même. \