L’autre jour, je discutais avec une amie éducatrice spécialisée et nous jasions du climat dans nos écoles, des négociations en cours, de nos élèves… C’est là qu’elle m’a dit : « T’sais Catherine, je l’sais que tu iras voter pour la grève cet automne, mais personnellement, je pense que ça ne sert à rien. Être enseignant, c’est une vocation. Et ça, le gouvernement l’a compris depuis un bout et se fie là-dessus. » Comme c’était une journée passablement grise et que je venais de terminer une semaine de travail de 50 heures, j’ai pris une gorgée de bière et je me suis tue.
Depuis, j’ai un malaise. Le fait est qu’il est évident que j’irai faire la grève au nom des enfants, pour assurer la viabilité de l’école publique et pour honorer ce principe des chances égales pour tous. C’est vrai qu’enseigner, c’est se donner sans compter parce que chaque jour, on remplit un peu plus notre « boîte à caresses » de rires d’enfants, de petites réussites et de ce formidable sentiment d’accomplissement de soi. Mais est-ce mal vu d’affirmer que je choisis également de faire la grève pour moi?
Oui, j’irai faire la grève pour Mathilde qui performe au-delà des exigences fixées pour elle. Pour Eliott qui chemine dans une classe d’adaptation scolaire. Pour Jérôme qui, malgré sa dyslexie sévère, peut étudier dans une classe régulière. Pour la génération actuelle qui, si les coupures ne cessent pas, aura une éducation de piètre qualité.
Mais la première personne pour laquelle j’irai faire la grève, c’est pour moi. Moi et les autres enseignantes que je vois travailler sans relâche, bien au-delà des 32 heures prévues par leur convention. Depuis les derniers mois, je suis mal à l’aise avec cette idée que les profs ont besoin de valorisation. Je ne pense pas que c’est de tapes dans le dos ou de mots d’encouragement dont nous avons besoin. Je pense plutôt qu’il est temps que les enseignantes parlent en leur nom sans être gênées de le faire. Certaines d’entre elles ne continueront pas à exercer leur métier avec autant de dévouement et d’intérêt si le gouvernement sabre encore dans leurs conditions de travail.
Enseignantes, arrêtons de demander de la reconnaissance et demandons un salaire qui a du bon sens. Exigeons d’être payées pour les heures effectuées. Quand je vois des enseignants dire à Tout le monde en parle qu’ils feraient ce travail-là au salaire minimum, ça me met en colère. C’est en entretenant le discours du bon samaritain de cette façon que l’on perd de la crédibilité dans nos revendications. Arrêtons d’entretenir ce discours que pour être un bon enseignant, il faut avoir « la vocation ». Pour persévérer dans un emploi où les relations humaines sont mises à l’avant-plan et où sont sollicitées créativité et énergie chaque minute de lajournée, il est ÉVIDENT qu’il faut être passionné pour y trouver son compte. Le danger dans tout cela, c’est cette zone qui sous-entend que, comme nous le faisons par passion, nous n’avons pas à exiger le salaire et les ressources humaines qui reflètent la complexité de la tâche.
Cessons de scander que nous serons en grève pour les enfants et les générations futures parce qu’il ne peut pas en être autrement. Nous ne nous questionnons pas sur les raisons qui poussent les médecins à travailler de nombreuses heures parce qu’il est évident qu’ils sont là pour améliorer la santé tant à l’échelon de la personne qu’à celui de la collectivité. S’ils décidaient demain matin de déclencher une grève parce qu’on leur impose un plus grand nombre d’heures travaillées sans être payés, qu’on coupe dans le nombre de préposées et d’infirmières qui les soutiennent dans leur travail, qu’on augmente le nombre de patients qu’ils doivent soigner dans une journée, nous serions derrière eux et ils n’auraient pas besoin de justifier qu’ils sont en grève « au nom de la santé collective ». C’est la même chose pour nous. Nous faisons la grève actuellement pour améliorer, ou du moins maintenir, nos conditions de travail, et ce, parce que nous savons que plusieurs d’entre nous ne pourront continuer à exercer notre travail avec amour et passion encore longtemps si le gouvernement n’entend pas raison.
Vous allez me dire que tout cela revient au même. Que faire la grève au nom des enfants revient à dire que nous désirons de meilleures conditions de travail pour aider ces derniers à atteindre le maximum de leur potentiel. Vous avez raison sauf que… je ne trouve pas normal qu’on doive constamment justifier nos revendications. Je ne trouve pas normal qu’on doive placer l’élève au cœur de cette grève alors que les enseignantes tombent comme des mouches autour de nous. Notre travail est grand. Notre travail est de plus en plus difficile. Parlons en notre nom, soyons claires dans nos demandes. Nous ne trouverons jamais meilleurs messagers que nous-mêmes. \