Je laisse remonter mes souvenirs : ma fille a neuf ans.
L’école de danse donnait ses cours à l’école Paul VI, là où se trouve maintenant la Bibliothèque municipale. Les maillots que les filles portaient étaient verts, les collants roses ; il n’y avait pas grand choix à l’époque. Nous, Européennes, on n’aimait pas trop.
« Vous ne pourriez pas choisir une autre couleur? » demandait mon amie.
Lynn ne se démontait pas. Elle souriait, affirmant doucement : « Je trouve ça beau. »
Ma fille, elle, trouvait dans cette école un milieu d’affection, de discipline, de sécurité, de calme et de respect, alors que sa famille et son monde étaient bouleversés par les aléas de la vie. Elle trouvait dans Lynn une femme aimante, dévouée à son travail de chorégraphe, mais aussi à ses élèves de dix à vingt ans, auxquelles elle inculquait des valeurs humaines : entraide, solidarité, respect de l’autre, sens de l’organisation.
« Ce n’est pas une école de danse, c’est une école de vie », concluait-on, nous, les Européennes, à la fin de ses spectacles, où elle ne montrait pas que des chorégraphies achevées, mais où elle racontait aussi les oiseaux, les constellations, les fées, les problèmes environnementaux…
C’est une école de vie, en effet. Depuis 45 ans, Lynn Vaillancourt travaille avec passion à la formation artistique des jeunes de Rouyn-Noranda, tout en leur donnant un cadre de vie où l’affection et le respect sont à l’honneur. Toujours en douceur, en silence, humblement, Lynn continue sa tâche sans s’imposer, mais sans perdre le cap qu’elle s’était fixé, avant-garde silencieuse, pourrions-nous dire pour décrire son travail minutieux et constant.
Cette année, l’école de danse PRELV fête ses 45 ans, ses « noces de vermeil ». Vermeil, couleur rouge, couleur de la passion qui l’anime, mais aussi couleur du sang, ce sang qui règle la vie des femmes depuis que l’humanité existe.
Quand le rideau s’ouvre, une soixantaine de danseuses nous souhaitent la bienvenue. Habillées de rouge et de noir, elles dégagent une telle énergie, une telle fierté d’être là, d’être femmes, qu’on ne peut qu’embarquer avec elles dans cette célébration de la moitié de l’humanité. Tour à tour, différents thèmes qui ont jalonné l’histoire des luttes des femmes seront abordés : mythes et tabous, droit de vote, droit d’étudier, d’aller à l’université. Droit de s’affirmer, d’être rebelle, de contester des préjugés… Les chorégraphies s’accorderont à ces thèmes, seront dynamiques ou tristes, bien servies par des danseuses qui, manifestement, prennent leur danse très à cœur.
Ce spectacle est un hommage aux femmes, aux grand-mères, à toutes celles qui, avant nous, nous ont ouvert des portes jusque là fermées.
Aujourd’hui, 75 ans de féminisme plus tard, alors que des jeunes filles pensent que tout est gagné, Lynn nous rappelle, à travers des paroles de Lise Payette, qu’il y a encore des luttes à mener, que les femmes doivent rester vigilantes si elles ne veulent pas perdre leurs acquis.
Et pendant que je regarde ma petite-fille qui danse avec joie et énergie, je me dis qu’on vient de loin, nous les femmes, et je remercie Lynn de nous le rappeler! \