Acte de culture véritable, la lecture est une subversion. Elle est un acte subversif, car elle possède la vertu de transcender notre misérable existence. Donc, elle nous affranchit, nous émancipe; bref, nous sauve. Dans son Autobiographie, John Stuart Mill raconte la mélancolie douloureuse qu’il a vécue vers la vingtaine, en évoquant son insensibilité à toute jouissance et à toute sensation agréable. La lecture d’un recueil de poèmes le guérira de son mal. Il affirme y avoir trouvé l’expression de ses propres sentiments sublimés par la beauté des vers. C’est la lecture qui sauvera également Charlotte Delbo, emprisonnée à Paris pour avoir conspiré contre l’occupant allemand. Malgré l’inexorable mal qui le frappe, le jeune Raphaël de Valentin a accompagné une de mes collègues dans sa plus cruelle peine d’amour.
Mill, Delbo, ma collègue et tous les autres lecteurs trouvent dans les livres un remède à leurs maux. Aussi, ne me soupçonnera-t-on pas de simplisme si j’écris que les bibliothèques représentent une mesure de santé publique. Mais quelle place le livre québécois y occupe-t-il?
Dans l’ensemble, les responsables des bibliothèques publiques estiment que le livre québécois jouit d’une position enviable sur leurs étagères. Ils assurent faire la promotion des auteurs québécois grâce à un travail de sensibilisation à la lecture et à la disponibilité d’une diversité de biens culturels de grande qualité. Les activités d’animation, les lancements de livres, les clubs de lecture représentent les principales stratégies que développent les bibliothèques pour faire ce travail de sensibilisation. Cependant, ce n’est pas un pari gagné d’avance, car la concurrence est rude.
À La Sarre, Noëlline Marcoux se réjouit du fruit du labeur de son équipe auprès des jeunes lecteurs, mais elle concède qu’avec les adultes, un bout de chemin reste à faire. Selon elle, « les auteurs [québécois] de grandes sagas familiales sont très connus, mais les autres qui marquent notre différence culturelle passent souvent inaperçus ». Michelle Bourque, nouvellement installée à la direction de la bibliothèque de la ville d’Amos, abonde dans le même sens et surenchérit. Elle dit observer une forte demande de livres édités au Québec, et notamment des auteurs très populaires telles Louise Tremblay-d’Essiambre, Marie-Bernadette Dupuy, etc. De son point de vue, le défi consiste à proposer de nouvelles lectures, québécoises, à des usagers qui raffolent de best-sellers étasuniens. Donc, malgré une présence accrue des livres québécois sur les étagères, les lecteurs semblent ne pas se bousculer à les sortir de leur écrin.
Concrètement, la présence des auteurs québécois dans les bibliothèques publiques de la région s’évalue. Brigitte Richard, responsable de la bibliothèque de Val-d’Or, estime à 43% le nombre de volumes québécois disponibles sur ses étagères. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il y a autant de titres, car certains volumes existent en plusieurs exemplaires. Les bibliothèques tiennent des statistiques sur la provenance des titres dont elles font l’acquisition. De plus, une enquête annuelle sur les bibliothèques publiques spécifie le nombre de livres québécois qui y sont disponibles. Pour donner au livre québécois une cote non seulement dans leurs rayons mais aussi auprès des lecteurs, certaines bibliothèques adoptent des mesures administratives. C’est le cas de la bibliothèque de Val-d’Or, qui s’est dotée d’une politique d’acquisition de biens culturels où la littérature québécoise tient une place de prédilection.
Cependant, les critères de sélection des ouvrages ne semblent pas toujours faciles à établir. Selon Mme Richard, « le choix de tout document demeure un processus complexe, relativement subjectif, et la complexité relève notamment de l’équilibre fragile entre la mission élargie d’une bibliothèque publique, les besoins des usagers, les ouvrages disponibles, les budgets, l’état des collections et notre volonté de les développer en tenant compte des tendances, de l’évolution du monde de l’édition et de la culture littéraire, tout en mettant en valeur les ouvrages classiques et incontournables ». Quant à la bibliothèque d’Amos, elle en est à la rédaction d’une politique, dont les grandes lignes doivent s’orienter vers une prééminence québécoise. Dans tous les cas, les responsables semblent accorder une importance particulière au livre québécois dans leurs collections. Mais l’idée d’un tiraillement entre les besoins des usagers et l’impérieuse nécessité d’assurer la survie de l’édition québécoise demeure constamment tenace.
À bien y réfléchir, le livre québécois mérite une autre forme de promotion, c’est une nécessité. À ce propos, l’initiative lancée par Patrice Cazeault et Amélie Dubé, le 12 août dernier, tient lieu d’exemple. Baptisée « Le 12 août, j’achète un livre québécois », elle a permis de faire bondir la vente des livres québécois en une journée. Des centaines de personnes se sont fait tirer le portrait, exhibant fièrement sur les réseaux sociaux un livre québécois acheté en cette journée spéciale. Même si elle a stimulé les ventes, cette opération reste une démarche spontanée. D’aucuns pensent qu’il faudrait réitérer l’expérience tous les mois. Toutes les initiatives visant à assurer la promotion du livre québécois devraient être considérées. Il en va de la survie du fait francophone en Amérique du Nord et de notre identité culturelle.