Le parcours d’un homme de Dieu qui se voulait moderne, l’abbé Proulx, a récemment été documenté dans Dans la caméra de l’abbé Proulx, La société agricole et rurale de Duplessis, un mémoire écrit par Marc-André Robert. Cette parution nous fait voir qu’au-delà de la parole de Dieu que l’Église tenait à parsemer, quelques individus pouvaient parler en termes plus libres de modernité.
À l’abbé Proulx, d’abord, nous devons un exploit notable : la réalisation du premier long métrage parlant au Québec : En pays neuf : un documentaire sur l’Abitibi (1937). Il figure aujourd’hui à l’horaire de tous les programmes d’enseignement du cinéma au Québec, par devoir de mémoire plus que pour insuffler la passion du documentaire on s’entend. Le ton du narrateur fatigue, il beurre épais sur la beauté de la terre, se moque des indiens, etc. Pour le jeune que j’étais, avide de nouvelles façons de s’exprimer par le cinéma, assis dans la classe de Martin Guérin devant En pays neuf, quel ennui ridicule, quelle impertinente drôlerie! Un curé s’est pris pour un artiste, et quoi encore? Soit, avec plus d’une cinquantaine de documentaires à son portfolio et plusieurs mentions aux Canadian Film Awards (devenus les prix Génies), l’abbé Proulx a un c.v. à rendre gêné Pierre Perreault.
Maurice Proulx a été ordonné prêtre en 1928 avant de s’inscrire à l’École d’agriculture de Sainte-Anne-de-Lapocatière. Il poursuit ses études à l’Université de Cornell, où il vivra son éveil cinématographique. Il se met alors à consommer le septième art de façon boulimique, assistant aux quatre représentations par semaine qu’offrent les deux théâtres de la ville d’Ithaca. Proulx convainc ses anciens supérieures de l’École de l’agriculture de lui envoyer 400 dollars pour l’achat d’une Kodak K 16mm, une caméra amateur. S’ensuit le tournage d’En pays neuf à Rochebeaucourt qui durera trois ans, suivant les pas des premiers colons en Abitibi. La sortie du film lui vaudra l’amitié du ministre de la Colonisation, sous les libéraux. Quand Maurice Duplessis obtient le pouvoir en 1936, bien que l’abbé Proulx soit «un maudit rouge», il devient le cinéaste le plus occupé du Québec, les projets s’enchaînant à vive allure jusqu’à sa retraite.
Son cinéma reste essentiellement propagandiste, il s’avère d’abord un outil essentiel pour envoyer les hommes aux champs, loin de la ville, et se fait également le porte-voix des ambitions de Duplesssis en matière d’agriculture. À travers ses documentaires, l’abbé Proulx concilie finalement sa passion pour le travail des cultivateurs, son admiration pour ceux-ci et sa foi en le Tout-Puissant. Mais contrairement aux discours rétrogrades que l’on associe à l’Église, il se voulait le porte-parole de la modernité dans un univers rural, vantant les mérites des machines employées à la terre et décortiquant les mœurs d’une nouvelle jeunesse après la Seconde Guerre. Cette modernité devait toutefois s’exprimer en continuité avec les traditions et les valeurs chrétiennes.
Ses films, conservés aux Bibliothèques et Archives nationales du Québec, représentent toutefois des images précieuses d’une époque en plein bouleversement et des premiers pas du cinéma documentaire. Et cela est finalement très pertinent, même pour le plus cynique des étudiants en cinéma, comme il le confia à André Blanchard : «C’est difficile pour toi de comprendre ce que c’était la vie des colons et même des cultivateurs il y a cinquante ans […], mais c’est difficile aussi pour toi de te figurer ce que c’était de faire du cinéma avant d’apprendre c’est quoi un scénario.»
Bernard Émond, grand cinéaste et défenseur des valeurs judéo-chrétiennes flushées avec l’eau du bain, disait qu’il est maintenant plus subversif de parler de religion dans un film que de prostitution, ou quelque chose du genre. Si Maurice Proulx avait vécu à notre époque, il en aurait outré plus que le font Lars Von Trier, Harmony Korine et Rob Zombie réunis.
Dans la caméra de l’abbé Proulx est paru aux éditions du Septentrion.