Alex marche à l’amour, long métrage de Dominic Leclerc, a été projeté le dimanche 27 octobre 2013 dans le cadre de la programmation du 32e Festival de cinéma international de l’Abitibi-Témiscamingue. Ce film met en vedette Alexandre Castonguay, récitant le poème « La marche à l’amour » de Gaston Miron au cours d’un long périple sur les sentiers vicinaux de l’Abitibi-Témiscamingue. L’idée est audacieuse et le comédien, valeureux.  

   

J’ignore si ce « voyage abracadabrant » de Castonguay lui a permis de « retrouver le monde de l’amour » dans ce « grand désordre universel » qu’est l’Abitibi, mais je ne peux pas m’empêcher de soupçonner Miron d’être de mèche avec les traditions orales. En effet, « La marche à l’amour » se signale comme un poème hautement théâtral, ce qui affiche péremptoirement les liens du poète avec l’oralité. Il se prête allègrement au soliloque d’un diseur pour devenir poème-performance. En cela, son titre ne fait pas de cachotteries : « La marche à l’amour » invite à une performance physique, une épreuve d’endurance, une prouesse somatique.

La parole du comédien, qui incarne l’urgence du dit et la résistance de la poésie à la fixité de l’écrit, se fait construction de sens et production d’essence. Construction de sens parce que cette parole est une expérience de l’instantané; production d’essence parce qu’elle se nourrit de sa propre substance. Et c’est sans doute cette filiation tout à fait naturelle qui a motivé le comédien. J’écris « tout à fait naturelle » en pensant à Aristote. Car le comédien, en transmuant le poème en parole, lui restitue une vérité originelle. La parole est fondatrice du monde. La parole en liberté, sur les routes de l’Abitibi, recèle toutes les possibilités de dire le monde et de le penser. Le comédien arpente le territoire, jouant, interprétant. Son verbe transforme en sa propre substance corporelle le mystère impalpable de l’univers du poète. Le poème sort alors de l’ordinaire en brouillant les pistes pour tout ramener à sa propre vérité.

J’imagine Castonguay affrontant le froid et la neige, les bourrasques et les tempêtes, les monts et les vallées pour délivrer cette vérité de salut public. Je l’imagine surtout acclamé dans les villes et les villages abitibiens comme un télé-évangéliste étasunien transfiguré par sa propre parole. Je l’imagine enfin rendu à une expérience mystique, car elle nie la réalité, dont le but ultime est la conquête de « [s]on bel amour ». J’imagine des milliers de badauds lui emboitant le pas. Des femmes et des hommes formant une foule épique « marchant à l’amour », à la recherche de leur âme sœur.

C’est le poète Aristophane, convive de Socrate dans Le Banquet, qui émet cette hypothèse sur l’amour. Selon lui, les hommes et les femmes étaient liés au départ. Jupiter, pour les punir de leur outrecuidance d’être montés au ciel combattre contre les dieux, les aurait fait couper en deux, les condamnant ainsi à rechercher leur double pour le reste de leurs jours. Personnellement, je crois que cette quête de l’âme sœur, « nostalgie de l’autre » comme dirait Dany Laferrière, est une entourloupe, parce qu’elle est vouée inexorablement à l’échec. Mais comme elle vient d’un Grec, donc d’un esprit rationnel, c’est de la philosophie. Miron en a fait une œuvre d’art.


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