J’ai vu Ali au Capitol, à Val-d’Or, pendant le Festival de cinéma des gens d’ici. Il prenait forme dans la loquacité d’une vieille gang aux souvenirs encore vifs et dans un audacieux montage photo signé Dominic Leclerc. Le réalisateur du documentaire Voir Ali, Martin Guérin, était fier de nous dire que son film menait une bonne vie et qu’il sera projeté, au cours de la semaine du 14 octobre, dans une salle privilégiée par les cinéphiles montréalais: le Cinéma Beaubien. Mais revenons au passé.

En 1983, dans les villes jumelles du Nord-Ouest, on a vu débarquer un géant, « The Greatest », né Cassius Clay. Le message qu’il nous apportait était difficile à saisir : on n’en a retenu que l’essentiel, soit qu’aucune étoile n’est impossible à décrocher.

L’histoire se raconte dans la chronologie : au départ, il y avait une ambition, et à la fin, il y eut une conférence de Mohamed Ali. Entre les deux, un tas d’anecdotes et du mal à y croire, autant pour les spectateurs que pour ceux qui racontent. En apparence, le projet tenait du miracle, parce qu’on s’était tellement fait répéter que notre région en était une trop éloignée. Mais comme le résume le défunt Guy Lemire, la région a « besoin d’estime de soi de façon démesurée », ce qui donne à ceux qui organisent des manifestations culturelles l’envie d’inviter des gens de marque, des influents, des inspirants, pour se voir dans le regard de ces autres que l’on admire de loin. Faire venir Mohamed Ali « au pays des créditistes » était alors une autre façon pour la région d’affirmer son existence au monde autant qu’à elle-même.


(Électro)choc culturel

Juste avant qu’on en vienne à raconter comment Ali est débarqué à Rouyn et Noranda, le matin se réveille, la ville est plongée dans une lueur d’un rouge ardent et au loin, une clameur jamais entendue dans notre désert d’épinettes, celle des prières matinales islamiques, ce qui nous rappelle l’absence de références à la religion musulmane dans notre municipalité. On comprend alors que les fans d’Ali présents à l’aréna Dave-Keon étaient bien mal préparés pour cette messe de juin 83. Car il ne s’agissait pas seulement d’une conférence, mais du prêche d’une légende du sport tentant d’insuffler la foi, d’une foule restant sur son appétit, surprise dans un aréna à se faire répéter « Boxing is nothing if you don’t believe in God! » La visite de Mohamed Ali s’est avérée l’un des premiers contacts du Nord-Ouest québécois avec l’islam.

Mais il valait la peine de faire voir Ali aux gens d’ici : simplement en entendant raconter cette histoire, on mesure le lot de fierté que cela a apporté à la région. On comprend où Jacques Matte et sa troupe ont trouvé le « guts » d’amener à leur festival les Gainsbourg, Lelouch, Godard et autres géants du cinéma.

Voir Ali est finalement un documentaire monté dans la forme « talking heads », reposant ainsi sur les entrevues pour tisser sa toile. Cette démarche est risquée, puisque le film entier ne sera jamais plus intéressant que ses personnages. Mais Martin Guérin est bien tombé, puisque les Matte, Lemire, Charlebois, Slobodian et autres sont d’excellents conteurs, et que l’évocation du passage d’Ali en Abitibi suffit à raviver chez eux une flamme fière et éternelle. \


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