Le grand écrivain Bernard Clavel s’est éteint à La Motte-Servolex, en France, le 5 octobre dernier. Cet auteur prolifique a écrit plus de 80 romans parmi lesquels figure la saga de six tomes du Royaume du Nord, inspirée de la vie des pionniers de l’Abitibi-Témiscamingue.
J’étais au Salon du livre à Paris en 1984 quand l’éditeur Albin Michel publiait Harricana. Il a suffi que je dise demeurer au bord de l’Harricana, qu’il appelait le fleuve, pour susciter un attroupement. Ce n’est pas moi qu’on accueillait, mais ce que Clavel avait vu en nous : des héros. Il faut relire : « La mort nourrit toutes les terres depuis des millénaires, mais ici, lorsqu’elle rattrape un marcheur solitaire, elle l’étreint […] C’est elle qui se charge de la sépulture. Bien des corps vidés de leur âme et vidés de leur vie ont disparu lentement dans cette forêt […] Ces naufragés du continent se sont enfoncés dans la terre comme des marins noyés le font dans l’océan. » Sous sa plume, notre Nord devient une grandiose légende qu’il raconte à un million de lecteurs européens.
Saisir l’essentiel
Le romancier Denys Chabot a fait la tournée abitibienne avec Bernard Clavel et Jean Ferguson en 1977-1978, pour la préparation
d’Harricana. Il parle de lui en ces termes : « Ce qui m’a frappé tout d’abord ? Clavel ne prenait pas de notes. Son cerveau fonctionnait comme une enregistreuse. Ses questions débusquaient les non-dits. Il s’intéressait peu à l’élite traditionnelle locale. Il s’en méfiait, craignant les versions édulcorées de l’histoire. Il avait un amour passionné des petites gens : cet homme, récipiendaire de nombreux prix prestigieux, dont le Goncourt, gardait sa simplicité. Quand un bûcheron dit j’ai garroché mon havresac su mon bed, il questionne l’expression. Pour lui, ça sent le mouvement, la force, la sueur. Il avait saisi l’essentiel. Le cœur saisit toujours l’essentiel. »
Son ami écrivain bordelais, Michel Suffran, me confiait peu de temps après le décès : « Il a trouvé chez vous, dans l’authenticité des
rencontres, la splendeur des horizons, une amplification incomparable de cet ailleurs que lui suggérait, déjà, son amour envers la terre jurassique natale. Une manière de retour aux sources de son être qui font songer au Chant du monde d’un Giono. C’est pour cela que son œuvre durera. »
L’Abitibi-Témiscamingue honore Bernard Clavel parmi « les incontournables » de notre littérature. Nous gardons ses mots dans nos cœurs et nos mémoires. Comme il a su nous garder dans sa tendresse jusqu’au bout.