« […] Bernadette en voulait à son miroir de ne pas la refléter aussi belle qu’elle aurait voulu et à ses parents de l’avoir affublée de ce nom qui lui collait au front et à l’âme. » (p. 71)
Vous l’aurez deviné à la lecture de la citation placée en exergue de ce texte : le dernier roman de Fernand Bellehumeur raconte l’histoire de Bernadette… La proposition de départ semble assez simple (et elle explique le titre): Bernadette/Bérénice veut savoir « ce que [ses amis] garderont » d’elle. Ainsi, le roman révèlera le courage nécessaire pour confronter le jugement des autres en même temps que sa propre mortalité. Femme forte, Bérénice prépare sa mort, elle ne veut rien laisser au hasard. Elle semble intransigeante, mais en apprenant à la connaître, on découvre qu’en fait, elle ne l’est pas tant que ça. Elle fait surtout preuve d’une rigueur intellectuelle indémontable : même face à la mort, elle refuse la bêtise humaine.
L’autre personnage s’appelle Michel. Il accompagne Bérénice dans ses dernières semaines, l’aide à se préparer à mourir et Bérénice (Marie Bernadette Fleurette Boileau de son nom de naissance), elle, cherche à faire une sortie aussi digne que possible malgré le cancer. À travers leur histoire d’amour qui sert de toile de fond et explique certaines situations et certains thèmes, ce livre aborde des questions de fond : l’urgence de vivre sans s’empêtrer dans les obligations quotidiennes, la définition de l’amitié, l’importance de la mort dans la vie.
Endosser son propre nom
Bernadette n’aime pas son nom. En fait, il y a bien des choses qu’elle n’aime pas d’elle-même. Comme beaucoup d’entre nous, au fil de sa vie, elle changera ce qu’elle peut changer et, au moment de mourir, elle travaillera fort pour accepter ce qu’elle ne peut pas (plus) changer. Voilà le nœud de ce personnage auquel on s’identifie sans le vouloir, car l’auteur nous présente quelqu’un avec ses qualités et ses défauts.
Particulièrement touchant, ce court texte vient chercher le lecteur jusqu’à la fin lorsque Bérénice découvre enfin l’explication du surnom qui a marqué son enfance et qui l’a poussée à se construire une nouvelle identité, comme si sa vie aurait dû prendre un autre chemin. L’originalité de ce texte réside dans la présentation du questionnement de l’écrivain, qui apparaît ici in contrario : Fernand Bellehumeur ne décrit pas une auteure qui se tord les doigts en se regardant écrire ; il opte plutôt pour celle qui n’a jamais écrit ce qu’elle avait dans la tête, dans l’âme, dans le cœur afin de nous mener à réfléchir sur le non-dit, sur ce que l’on garde au plus profond de soi et qui pourtant génère de la poésie.
Radicalement différent de son roman précédent, on retrouve dans Un pont qui ne mène pas à la rive le mélange subtil de la simplicité et du vocabulaire recherché, ainsi que la finesse d’analyse de l’auteur, surtout par sa description attentive du quotidien, des petits comme des grands moments. Fernand Bellehumeur sait surprendre, preuve de la diversité de son talent. Impossible de passer sous silence la petite coquetterie de mise en page : des tiges de foin ornent chaque début de chapitre!
Biographie sommaire
Fernand Bellehumeur porte bien son nom : vous avez sans doute croisé son large sourire et ses yeux pétillants dans la région. Né à Latulipe, au Témiscamingue, en 1931, et vivant aujourd’hui à Rouyn-Noranda, Monsieur Bellehumeur a marqué et marque encore l’histoire de l’Abitibi-Témiscamingue. Son chemin l’a mené de la prêtrise à l’écriture, en passant par l’enseignement et l’aumônerie. Il quitte le sacerdoce à la fin des années 60 pour se marier et fonder une famille. Il redirige alors sa carrière vers le domaine des organismes publics tout en restant en Abitibi-Témiscamingue. Il a œuvré en animation à la télévision et la radio. Il a également participé à la fondation de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et a donné des cours dans le Réseau libre savoir. Depuis sa retraite, il s’implique dans des associations « pour la défense de l’environnement et du développement régional ». Il est membre de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois depuis 1997 et, en ce moment, il agit à titre de président du Cercle des écrivains de l’Abitibi-Témiscamingue. Il est également conteur à ses heures.
Œuvres
Un pont qui ne mène pas à la rive, roman, Rouyn-Noranda : l’ABC de l’édition, 2010, 141 p.
Le vieux qui pissait partout, roman, Rosemère : Gensen, 2008, 130 p.
Le sixième et le neuvième, roman, Montréal : Trait d’union, 2003, 181 p.
La bande des quatre – ils étaient cinq, récit, Cap Saint-Ignace: La plume d’Oie, 2000, 160 p.
Partir, récit, Montréal : Stanké, 1996, 218 p.
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